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08/02/2012

La colère du vieux

Ici, monsieur, vous entendrez toujours parler de cet évènement sous le nom de « la colère du vieux ». Tout le village en garde le souvenir et même dans les alentours on sait de quoi il s’agit, pourtant l’affaire remonte à bien longtemps déjà. J’étais à peine né, j’ai aujourd’hui plus de soixante-dix ans, mais l’histoire se raconte et le bouche à oreille en a fait une légende locale. Approchez monsieur, je vais vous la conter comme elle s’est réellement passée, car je la tiens de mon père – dieu ait son âme – qui l’a de ses yeux vue.

L’affaire remonte à l’été des grandes chaleurs, comme on le nomme dans les livres d’histoire. Le village était encore prospère à cette époque, pas riche comme vous l’entendez à la ville, mais nous vivions bien et heureux. Chacun sa maison, son lopin de terrain pour les légumes de la soupe, quelques oliviers et même deux ou trois biquettes pour certains. Sur le coteau de bonnes vignes donnant un vin âpre mais que nous aimons boire par ici, car il représente la somme de notre travail quotidien et reflète bien notre pays fait de soleil et de poussière.

Tout le monde au village s’entendait parfaitement les uns avec les autres, nécessité fait loi, seul on ne pourrait pas vivre ici, mais tous ensemble en unissant nos forces, nous avions fait de ce bout de terre, une sorte de petit paradis. Tout simplement, l’un de nous s’est retrouvé bombardé maire ; son autorité naturelle, sa grosse voix et son sens de la débrouille ont certainement joué un rôle, nous ne nous sommes pas posé la question, d’ailleurs personne d’autre n’avait envie de revêtir ce costume trop étriqué pour nos bras musculeux et nos épaules de paysans.

Tout aurait dû continuer ainsi éternellement, du moins nous étions-nous mis cette idée en tête, bien heureux de ne pas avoir ce souci à gérer. Le père Grégorio, c’est ainsi qu’on l’appelait au café du village quand on y passait pour boire un coup ou deux avant de rentrer à la maison où nous attendait la femme avec la soupe du soir. Le père Grégorio, donc, avec les années et sa situation s’était fait une place enviable au sein de la communauté, sa maison était devenue la plus belle et la plus vaste, sa femme ne se déplaçait plus que pour aller à la messe le dimanche, pour les courses au marché elle avait une bonne et pour l’entretien du jardin, un jeune homme un peu simple d’esprit mais costaud.

Quant au fils unique de la famille, Salvatore, il envisageait de faire des études et trouver une place de fonctionnaire à la ville, mais il avait surtout la réputation d’être un sacré glandeur et le village suivait ses échecs scolaires avec l’œil amusé du paysan qui surprend un citadin à plumer une volaille.

Cet été là il avait fait particulièrement chaud comme vous le savez, fut-ce la cause de l’effet, nul ne le saura jamais. Depuis plusieurs semaines le soleil tapait du matin au soir, hommes et bêtes ne bougeaient plus des coins d’ombre qu’ils s’étaient dénichés, seul le bruit agaçant des mouches contre les vitres troublait le silence pesant qui recouvrait notre village. C’est au milieu de l’après-midi, après la sieste, qu’on a entendu les hurlements.

Oh ! Monsieur, je crois les entends encore à l’heure où je vous parle. Imaginez, un village entier plongé dans la torpeur moite de l’été, le silence lourd alentour, et d’un coup, ces cris et ces injures proférées d’une voix de stentor, je jure que toute la vallée en a été ébranlée. Tout le monde est sorti sur le pas de sa porte, les bêtes se sont mises à hurler en écho, nous ne savions pas ce qui se passait mais nous avions reconnu la voix de Grégorio.

Ensuite il y a eu des bruits de cavalcade dans la rue principale, un homme empêtré dans ses vêtements qui détalait de toute la vitesse de ses courtes jambes et le père Grégorio le poursuivant à distance mais hurlant de plus belle. Ca a duré quinze minutes, pas plus, puis le maire est rentré chez lui, le silence est retombé sur le village et on n’a plus vu Grégorio pendant tout un mois.

Abasourdis par cet esclandre dont nous ne comprenions le sens, chacun s’est retiré sous son toit dans un premier temps, puis tout le monde a filé vers le café pour en savoir d’avantage. Il a fallu plusieurs jours pour que la vérité émerge, un mot par-ci, une phrase par-là, l’explication s’est révélée petit à petit. Mais on a fini par la connaître.

Il faisait chaud comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, ce jour-là particulièrement. Le père Grégorio soufflait comme un bœuf à l’ouvrage, en désespoir de cause il pensa se réfugier dans la cave à vin, inconfortable certes, mais fraîche relativement. Hélas, pour lui, la pièce était déjà occupée et il a vu ce qu’il n’aurait jamais dû voir. Son fils Salvatore, le pantalon sur les chevilles,  besognait le jeune simplet avec une ardeur désespérée car il avait oublié que pour atteindre le trou du fût, il faut écarter les caisses.

Au village et en ce temps-là, nous n’étions pas prêts à accepter ce genre de divertissement, vous comprenez. Alors, quand c’est un père qui surprend son fils dans une telle situation, je ne vous fais pas un dessin. Grégorio a chassé Salvatore de sa maison pour toujours, le simplet a été envoyé dans un village voisin et notre maire n’a plus jamais été le même homme jusqu’à sa mort, quelques mois après celle de sa femme, elle aussi très affectée. Sa maison est à l’abandon depuis cette époque, personne ne sait ce qu’est devenu son fils. Il serait monté à la capitale d’après la rumeur.

Une sale histoire en vérité. Avec le recul, ceux qui y ont assisté trouvent à en rire, le Grégorio hurlant dans le sillage de Salvatore, cul nu dans la rue…. Mais au fait, monsieur, je ne vous ai pas demandé qui vous étiez ?

Je suis le fils cadet de Salvatore et je viens voir l’état de la maison, car j’envisage d’en faire une résidence secondaire pour m’y installer avec ma femme et mes enfants.       

 

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La Création des Astres (1511) Michel-Ange – Détail d’une fresque de 280x570cm – Chapelle Sixtine

07:00 Publié dans Nouvelles | Tags : nouvelle | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |