13/02/2010
Jaune, rouge et noir
Heureusement que ça n'a lieu que deux fois par an. Un coup chez eux, un coup chez nous, comme cela, fifty-fifty pour les frais. Pour les frais et pour la casse, il faut bien l'admettre. En tout cas ça met de l'animation dans le pays c'est moi qui vous le dis. Dix jours avant et facilement quinze jours après on ne parle que de cela !
De quoi ? Bah ! Du match tiens ! Quelle question ? On voit que vous n'êtes pas du coin, vous ! Parce qu'ici à Castibert, le match, tout le monde connaît ; les hommes, les femmes, les enfants et les petits vieux, tout le monde l'attend. Même les poules si elles parlaient... On a la meilleure équipe de football du département monsieur ! Mais les seuls qui nous accrochent, c'est nos voisins de Nosimonts. C'est malheureux à dire, mais c'est comme ça, à chaque fois qu'on se rencontre c'est la bagarre. Vous pensez, Nosimonts-Castibert c'est comme ils disent dans l'Equipe, un derby. Et pour le championnat on se rencontre deux fois, match aller et match retour.
Laissez-moi vous dire que le match on le joue sur le terrain, dans les tribunes, au café et parfois dans les rues. Et ça y va ! Toute la ville se déplace, en voitures, en cars ou en vélo pour envahir Nosimonts et ses troquets dès onze heures du matin. On se fait la gorge avec nos chants de guerre pour être prêts à quinze heures. Un de nos refrains préférés c'est celui qui dit « Castibert ... bert-bert-bert ! » et quand tout le monde le gueule ça fait mal ! En plus on a les fanions et les écharpes du club. Nos couleurs c'est jaune, rouge et noir, ça en jette un maximum. Moi, personnellement, j'ai tout l'équipement, car comme je dis souvent « Quand on est supporter, faut pas avoir honte ! » alors ma femme elle m'a tricoté le pull aux trois couleurs, le bonnet rouge et l'écharpe jaune. J'ai aussi un clairon, un souvenir de la Grande Guerre que m'a légué papa, car nous ici, on a tous fait la guerre, ils ne peuvent pas en dire autant les autres, je vous le dis ! En général c'est moi aussi qui conduit le car des supporters, d'une main le clairon, de l'autre le volant et vas-y Léon, je sonne la charge ! Et à l'arrière tous les passagers, d'une seule voix « Castibert... bert-bert-bert ! ».
Comment ? Ah ! Ne me parlez pas de la dernière rencontre monsieur. Evidemment, vu comme ça, le score est en notre défaveur, mais laissez-moi vous expliquer. D'abord, c'était chez eux. Ils avaient l'avantage du terrain, les trous et les bosses ils les connaissaient. Et des trous il y en a sur leur pelouse, d'ailleurs nos gars, ce qui les a le plus gêné, ce sont les portions de terrain planes, à chaque fois ils étaient déroutés de ne pas jouer dans un trou. En plus, notre avant-centre, Rolin, y s'était foulé la cheville deux jours avant, du coup il ne pouvait pas participer. Ce n'était pas de chance, parce que des buts il en marque quand il joue. C'est un costaud Rolin, il joue en force, mais technique quand même, hein ! Un peu comme cet Allemand, vous savez, celui qui a une gueule vérolée et un jeu de tête terrible... un ancien, vous ne voyez pas ? Vous suivez pas trop le foot vous.
L'arbitre ? Oui, comment vous le savez ? Un vendu en effet, un penalty qui n'existait pas monsieur ! Agression, pied en avant qu'il appelle ça, lui ! Non, c'était un tacle glissé, un peu appuyé peut-être, mais on joue entre hommes, il n'y a pas de gonzesses dans les équipes. Et puis s'il n'avait pas taclé, l'autre enfoiré nous plantait le but, le gardien n'était plus dans sa cage. Après ce coup du sort, évidemment les gars se sont énervés. Nous, des tribunes on les encourageait mais quand Nosimonts nous a mis le troisième pion et que leurs supporters se sont mis à rire en nous regardant, nous nous sommes un peu excités, c'est possible, et dans ces cas-là, un mot grossier en amène un autre, une claque malencontreuse peut partir et bien vite c'est l'émeute sans qu'on comprenne bien pourquoi. Ce qui est sûr par contre, c'est que le soir quand nous sommes repartis, nous avions perdu le match mais c'est Nosimonts qui faisait la gueule.
Mais pour le match retour, on les attend. Qu'est-ce qu'ils vont prendre, c'est moi qui vous le dis. Tout le village va venir au stade d'abord, c'est le maire qui l'a demandé, un devoir citoyen en quelque sorte. Comme cela il n'y aura pas de supporters étrangers aux nôtres, donc pas de bagarres dans les tribunes. On va leur refiler les vestiaires « spécial visiteurs » ceux qui ne sont pas chauffés et pleins de courants d'air. Sur le terrain, marquage individuel ; ce coup-là on va les avoir ! Obligatoire, il en va de notre honneur.
Bon, je vous quitte monsieur, je vais voir les gars s'entraîner. Allez, à dimanche ! Au fait, le curé a avancé la messe pour que nous ayons tous le temps de nous préparer. Moi je ne suis pas très bigot, mais un curé comme ça, comme je dis, chapeau bas !
« Allez ! Nous ! Castibert... bert-bert-bert ! »
13:16 Publié dans Nouvelles | Tags : nouvelle, football, supporters | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |