L’ami de toujours

C’est devenu une tradition désormais, sans date fixe mais plusieurs fois dans l’année, mon vieux pote me téléphone pour que nous nous voyions et cassions une petite graine ensemble. Lui et moi uniquement, un soir de la semaine, dans la brasserie toute proche de chez moi.

Plus qu’une tradition, un rituel ou une cérémonie qui a vu le jour depuis deux ans tout au plus. Copains de lycée dans les années soixante, notre amitié s’est construite autour de la musique rock de l’époque. Les disques, les concerts, nous étions dans tous les coups durant une trentaine d’années, des salles parisiennes au Forest National de Bruxelles en passant par la gadoue du festival d’Auvers-sur-Oise, nous avons usé nos jeans à droite et à gauche mais aussi nos oreilles dans le fracas des guitares électriques.

Quand nos groupes favoris ont jeté l’éponge, retirés des affaires ou décimés par la camarde, nos sorties musicales se sont espacées et nous nous sommes repliés sur nos vieux disques ou le téléchargement de vieilles pépites oubliées mais remises à la mode grâce à Internet – tout n’est pas mauvais chez cette bête.

Seul le téléphone maintenait le contact entre nous. Jusqu’à l’apparition de ce rencard salutaire, cérémonie de commémoration des temps anciens autant qu’heureux. Le déroulement est quasi immuable, une bière et des cacahuètes au bar en guise d’apéro puis nous investissons un box et commandons des pizzas et des bières encore. Ensuite, pendant deux heures nous nous remémorons les bons moments passés ensemble, échangeons des informations sur les groupes musicaux de notre jeunesse qui tournent encore.

Les Rolling Stones et Bruce Springsteen restant les derniers à nous faire bander encore – comme disent les mauvaises langues – nous nous réconfortons mutuellement l’âme en imaginant des disques ou des tournées à venir éventuelles. Nous ne sommes pas dupes, mais nous entretenons la flamme du souvenir avec attendrissement et nostalgie, sachant très bien que lorsque nous n’auront plus cette envie, la fin sera bien proche.

Bières, pizzas et rock’n roll, les deux vieux se la pètent un peu et le temps d’une soirée raniment leurs souvenirs, c'est-à-dire leur jeunesse. Une jeunesse qui n’a pas de prix, si ce n’est l’addition tendue par le cafetier…