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04/03/2014

Le marchand de journaux

A l’époque où je résidais en Italie, j’avais très vite été intrigué par une figure célèbre dans notre quartier, Luigi le marchand de journaux.

Son étal ne payait pas de mine, des planches sur des tréteaux constituaient sa boutique et un système de fil et de pinces à linge lui servaient de vitrine pour afficher ses journaux et ses magazines. Toute la presse populaire se retrouvait chez lui et chacun y trouvait son bonheur. Tous sauf moi – et heureusement suis-je tenté de dire – car il ne poussait pas l’extravagance jusqu’à vendre la presse internationale, et moi qui ne lisait que des journaux français, je devais m’adresser à des kiosques du centre-ville pour acheter ma lecture.

De nombreux bruits couraient sur le compte de Luigi dans le quartier et c’est ma logeuse qui m’en répercutait l’écho, le soir devant le minestrone et le verre de vin dont elle me nourrissait invariablement. Je n’étais pas bien riche en ce temps et j’étais bien aise d’avoir dégotté ce logis et ce couvert pour un tarif ridicule. En contrepartie je devais subir les discours de la propriétaire, une femme âgée, veuve depuis bien longtemps dont la principale distraction consistait à médire de ses voisins tout en s’excusant de devoir le faire mais certaines choses doivent être dites, qu’elles plaisent ou non, avait-elle coutume de répéter après chaque dénonciation.

Les principales récriminations concernant Luigi, tournaient autour de ses mœurs que madame Grimaldi ma propriétaire ne savait cerner, mais elle en était certaine et tout le monde dans le quartier le répétait – gage de sérieux de la rumeur – ce garçon n’avait jamais manqué de respect à une jeune fille passant devant sa boutique. C’était d’autant plus remarquable, que c’était exceptionnel dans ce coin de la ville, il suffisait de comparer avec le boucher ou le mécanicien disait madame Grimaldi, tout en laissant sa phrase en suspension. D’un air entendu, complété d’un mouvement du menton qu’elle avait double, elle scellait ses affirmations qui n’appelaient pas de contradiction.

Ne parlant pas très bien la langue de Dante, je ne comprenais que la moitié de ce qu’elle disait mais ses mimiques et ses gestes ne laissaient pas place au doute sur ses propos. Moyennement intéressé par ces ragots, je n’ai jamais cherché à approfondir la question, néanmoins je dois admettre que ce Luigi était un étrange marchand de journaux. Je l’ai vu opérer de mes propres yeux, donc je peux en témoigner.

Dès qu’un jeune homme se présentait pour lui acheter un journal, il déployait toujours le même scénario. Il n’acceptait de céder son canard qu’à la condition expresse que l’acheteur réponde à un interrogatoire serré. Pas question de vendre un journal à un amateur, il fallait d’abord prouver qu’on était un lecteur habituel et pour cela, Luigi vous questionnait sur le contenu de l’édition précédente. Le jeune homme devait s’installer sur les genoux de Luigi et ne pas faillir aux demandes du vendeur et ce n’est que si l’examen était réussi qu’il pouvait repartir avec son quotidien sous le bras.

Le manège amusait beaucoup le quartier mais il avait aussi pour conséquence de réduire la clientèle de Luigi. Seuls des passants occasionnels s’adressaient à lui mais parfois il arrivait qu’un occasionnel devienne un régulier et la minuscule boutique semblait accaparée par cet unique client objet de toutes les attentions de Luigi, alors vendeurs aux anges.

 

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Photo : Cartier-Bresson

05:00 Publié dans Nouvelles | Tags : cartier-bresson, journaux | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |