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27/01/2008

Maison fondée en 1761

Quand j’habitais la rue Richer dans les années cinquante, pour faire les courses nous avions un épicier à quelques dizaines de mètres de notre immeuble, le lait, le beurre ou les yaourts dans leurs petits pots en verre c’est chez lui que nous les achetions et c’est lui aussi qui nous fournissait en pains de glace l’été pour maintenir au frais ce qui craignait les chaleurs. Car à ma naissance mes parents n’avaient pas de réfrigérateur, ce n’est que plus tard que le monstrueux meuble blanc est entré dans nos vies. Monstrueux car au début, les frigos étaient de petites armoires, depuis on en trouve de toutes les tailles ; comme les postes de radio, les télévisions etc. la technologie les fait gros avec les moyens de l’époque, puis petit à petit tout rétrécit alors qu’inversement les performances augmentent. C’est aussi cet épicier qui m’a fait comprendre que je venais de naître dans le siècle de la modernité et qu’une importante page de l’Histoire venait de se tourner ; l’épicerie de quartier un jour changea d’enseigne pour devenir un Primistère et je fis ainsi connaissance avec ma première supérette. Sinon, ma mère n’avait que l’embarras du choix pour faire ses courses puisque la rue voisine était la rue Cadet. Si vous n’avez pas encore mon âge, au moins avez-vous déjà vu des photos de Doisneau. La rue Cadet bien que courte, n’était qu’un alignement sur chacun des deux trottoirs, de commerçants. Etals de fruits et légumes n’exposant que des verdures de saison. Boucheries où pendaient à l’automne les lièvres, sangliers et pigeons alors qu’en boutique de gros costauds moustachus avec des tabliers bleutés tachés de sang abattaient leurs hachoirs sur des carcasses pour en débiter des côtelettes, rôtis, entrecôtes qui en deux coups les grosses, sautaient dans la balance Roberval avant de finir enveloppés dans un papier blanc brillant puis directement à la caisse où une matrone blonde permanentée sur une grosse calculette à ruban faisait l’adition « Roger ! Tu n’as pas oublié de mettre un bel os à mœlle à madame Michu ? ». Les charcuteries savaient elles aussi étonner les gamins avec les têtes de veau la langue pendante qui nous fixaient d’un œil ironique, les plats de foies crus et autres triperies me dégoûtaient un peu et j’en détournais les yeux vers les jambons, saucissons ou cervelas rouges qui pendaient au plafond. Là aussi la caissière au corsage avantageux, tout en sourire commercial, devisait avec les bonnes clientes alors qu’elle expédiait une concierge venue acheter un peu de mou pour son greffier. Le fromager qui vendait aussi des oeufs frais impressionnait par sa boutique, devanture de la France le pays des fromages. Tous ces carrés, ronds, triangles, bûches, de vache, de chèvre, frais, bien faits, coulants, en boîte ou reposant sur des petits tapis de paille, toutes ces odeurs douces et fortes, tous ces noms merveilleux reblochon, maroilles, picodon m’enivraient. Tous ces commerces étaient pris d’assaut par les ménagères, les étals laissaient peu de place pour marcher sur les trottoirs et les caniveaux étaient occupés par les voitures à bras des marchandes des quatre-saisons qui proposaient elles aussi, des salades, des pommes de terres que sais-je encore, qu’elles avaient achetées à l’aube aux Halles – les vraies, celles qui occupaient le centre de Paris sous leurs pavillons Baltard, royaume des rats et des poivrots - Mais la boutique la plus extraordinaire, c’était celle du droguiste. Dans un capharnaüm improbable, où le marchand seul savait retrouver ses petits, on achetait le savon de Marseille, l’alcool à brûler et les allumettes, ainsi que les bougies ou l’eau écarlate. Quelle merveilleuse caverne d’Ali Baba. Toutes ces boutiques répondaient à nos besoins essentiels mais pour le superflu, la note sucrée, il y avait et il y a encore car j’y suis repassé il y a quelques mois, A La Mère de Famille dont les vitrines font le coin de la rue du Faubourg Montmartre qui descend des Grands Boulevards et de la rue de Provence. Ici, chocolats, bonbons, pains d’épices, confitures, biscuits fins font le régal des gourmets et ce depuis 1761 comme le proclame la façade. Pour ceux qui ne sont pas très férus d’histoire c’était l’époque du règne de Louis XV. Un peu plus haut dans la rue, l’entrée du passage Verdeau et juste avant d’arriver au boulevard, le siège du journal l’Equipe, du moins à cette époque. Bien plus tard c’est Le Palace fameuse boîte de nuit parisienne qui créera l’animation dans le coin et qui me ramènera vers le quartier de mon enfance. La vie n’est qu’une spirale dont nous suivons le cours en repassant sans arrêt tout près de nos traces anciennes.   

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Commentaires

Nostalgie quand tu nous tiens...Moi aussi, j'habitais là-bas dans les années 50/60. Comme c'est bizarre ! Vous avez dit bizarre ?

Écrit par : M-Ch. | 27/01/2008

Jolie évocation, juste et sans nostalgie, contrairement à ce que dit M Ch. Garder sa mémoire vive en écrivant, ce n'est pas forcément être dans le regret du passé. Au contraire.

Écrit par : solko | 06/02/2008

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