16/05/2009
Cabourg ou la découverte du temps perdu
Samedi, départ de bonne heure, la route est libre. Pause petit-déjeuner sur l'autoroute. Nous évitons la Côte Fleurie notre trajet habituel, Honfleur, Trouville et Deauville que nous connaissons trop, cette année nous nous risquons vers l'intérieur des terres dans le bocage Normand. Beauvron-sur-Auge joli village tellement restauré qu'il en semble factice avec ses boutiques à l'ancienne et ses jardinières pimpantes et débordantes de fleurs colorées. Cambremer me semble plus réel et donc moins affrété. Déjeuner Au P'tit Normand d'une entrecôte sauce camembert parfaite et sans gras à jeter. En dessert, sorbet aux pommes, morceaux de pommes caramélisés et calvados. Une très bonne adresse qui donne le ton pour ces vacances qui s'annoncent bien. La campagne normande est très belle, le bocage de prés gras, les vaches qui broutent et nous ignorent, les chevaux aux lignes parfaites dans les haras, les pommiers en fleurs et les marronniers. Nous dérivons entre la route du Cidre où chaque ferme ou presque propose son breuvage fait maison et la route des Douets du nom de ces petits ruisseaux qui courent dans les prés. Petites routes entre les haies touffues et peu de voitures. Le ciel alterne nuages et soleil, la température est acceptable. Arrivée à Cabourg ; Le clos Mathilde et notre appartement habituel, courses au supermarché tout proche. Une courte promenade au bord de la mer sous le soleil et lecture dans le jardin.
Le lendemain, jour de marché. La halle a été refaite à neuf, bons et beaux produits régionaux. A l'extérieur un bonimenteur vendant une râpe multi-usages, l'attraction à ne pas louper. Le Grand Hôtel est en ravalement, la grosse meringue blanche se dissimule sous un mince filet vert tendre et gâche la photo pour tous les touristes venus en masse ce week-end. Inauguré en 1907 il était l'un des plus modernes de son époque, doté d'un chauffage central, d'eau chaude, d'électricité toute la journée grâce à une centrale souterraine et d'un ascenseur, Marcel Proust la figure tutélaire de la ville (avec éventuellement Bruno Coquatrix) y prenait ses aises, louant trois appartements au dernier étage pour bénéficier du calme absolu. Fin de matinée sur un banc de la Promenade Marcel Proust à regarder la mer, il y a du monde les places assises sont chères et il fait très doux. Parfaitement calés dans notre banc nous rêvassons et j'envisage avec envie ce que pourrait être ma retraite.
L'après-midi, brocante à l'hippodrome. Les exposants sont dans un bâtiment et les brocanteurs à l'extérieur. Il fait chaud et je suis trop couvert. Le ciel se couvre un peu quand nous rentrons. Je termine la lecture du numéro hors-série de Lire consacré à Proust dont la lecture s'imposait ici.
Le lundi nous rejoignons le centre ville en longeant la mer dont les vagues viennent s'échouer bruyamment sur la plage en rouleaux d'écume blanche. Les touristes du week-end ont déserté la ville qui retrouve son calme, sa torpeur peut-on même dire. Un pêcheur sur la plage bronze au soleil, sa canne plantée dans le sable est seule au travail. Espère-t-il en rapporter son repas du midi ?
Port Guillaume par la promenade Marcel Proust, le soleil brille mais le vent souffle fort nous criblant de grains de sable volés à la plage. Nous bifurquons par l'intérieur de la ville, dans les rues calmes et à l'abri du vent, bordées de belles maisons aux volets clos. Chaque villa dégage un parfum d'histoire familiale et l'on s'étonne de ne pas y voir des gamins courir dans les jardins, une aïeule dans un fauteuil sous la véranda alors que le son d'une sonate chopinesque jouée d'un piano hésitant s'échapperait d'une fenêtre entrouverte. Où vivent les gens qui possèdent ces belles demeures ?
Longue promenade jusqu'à Cap Cabourg, sur le sentier entre les dunes jusqu'à l'estuaire de la Dives. Au-delà nous apercevons Houlgate et des cerfs-volants multicolores qui s'agitent dans le ciel. Nous passons la rivière jusqu'à Port Guillaume dont nous faisons le tour par le chemin de terre. Un lapin détale devant nous sur le sentier. Port Guillaume n'a pas changé, le bassin où s'entassent les petits voiliers est enchâssé entre des immeubles neufs. Là aussi une ville fantôme en semaine, seul le cliquetis métallique des mâts vibrants au vent auquel se joint parfois le cri des mouettes donnent un semblant de vie au quartier. Nous rentrons de notre promenade fourbus, assommés par le bruit des vagues et du vent qui les pousse en petits rouleaux vers la grève où elles s'éclatent en gerbe d'écume luisante sous le soleil. La mer est verte ou bleue, changeante au gré de la lumière elle-même tributaire des nuages qui taquinent le soleil. Dans les jardins les merles se ruent sur les pelouses qu'ils picorent tant et plus à la recherche de vers, le banquet semble copieux. Retour par le centre ville, glace et gaufre que nous dégustons face à la mer qui se retire.
Ce matin le climat est délicieux, il fait doux, aucun vent, la mer monte silencieusement. Cabourg est propice à l'introspection. Le temps y est figé et déconcerte le vacancier à peine sorti du monde du travail où tout va si vite, où chaque action doit être optimisée pour en faire toujours plus dans des journées qui restent non extensibles. Au début on souffle comme après un effort, on profite de l'inaction les muscles encore endoloris et tétanisés, finalement le corps se calme et libère l'esprit qui se retrouve bien seul d'un coup pour affronter le temps du non-faire. Des sentiments mitigés viennent parasiter le raisonnement, la joie de rester au repos à lire ou déambuler mécaniquement sur la promenade Marcel Proust, la honte de ne rien entreprendre de concret, de « gâcher » du temps ce bien inestimable quand je suis au boulot, la peur d'avoir des regrets plus tard de n'avoir pas fait ceci, vu cela ou que sais-je encore. Le désir me taraude de rentrer plus tôt que prévu chez moi et de retrouver une vie plus rythmée, plus occupée, car ici en vacances je me sens en veilleuse, les tâches quotidiennes sont réduites à leur minimum. Pas de radio, peu de télévision si ce n'est pour suivre distraitement les informations « au cas où » ou pour suivre un programme distraitement, regarder d'un œil morne une série. Le monde me semble loin et il en faudrait peu pour que je l'abandonne à son triste sort. Je suis tiraillé entre ces deux sentiments. Ici le temps est aboli, la ville entre les week-ends s'immerge dans une faille spatio-temporelle lénifiante et mon esprit s'engloutit comme dans un bain chaud annihilant toute volonté ou velléité d'entreprendre. La recherche du temps perdu de Proust trouve ici toute sa saveur, œuvre et lieu sont à l'unisson, le temps dit perdu est alors retrouvé et l'esprit retrouve le calme.
Petit déjeuner chez Dupont la fameuse adresse de Cabourg. Onctueux chocolat chaud à l'ancienne et madeleines délicieusement citronnées, musique classique en fond sonore tout en regardant les passants qui ouvrent de grands yeux gourmands devant les vitrines du pâtissier chocolatier meilleur ouvrier de France installé dans la rue principale depuis 1932.
Toute la journée la brume nous cachera les côtes et l'horizon. Dernière balade le long de la mer ; derrière le plaisir sans cesse renouvelé de voir la mer se jeter inlassablement sur la plage, pointe la déception permanente de ne jamais voir mon voeux exaucé, voir surgir de l'onde un très gros poisson, un dauphin ou une baleine et puisque je dresse la liste des rêves jamais réalisés pourquoi pas une sirène aux seins lourds ou même un sous-marin en feu qui viendrait s'échouer sur le rivage sous mes yeux ébahis mais ravis. Je commence à délirer, certainement l'angoisse devant le temps qui passe réduisant d'autant mes vacances.
C'est la quatrième ou cinquième fois que je viens à Cabourg, j'en ai fait cent fois le tour alors qu'un seul suffit pour tout voir, chaque fois je pense que c'est la dernière et pourtant j'y reviens avec plaisir car Cabourg comme la musique de Mozart ont ce je ne sais quoi qui calme les angoisses existentielles.
13:00 Publié dans Voyages | Tags : cabourg, proust, coquatrix | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |
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