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04/06/2011

Les encombrants

L’enlèvement des encombrants organisé par les mairies et qui permet aux particuliers de se débarrasser de tout ce qui embarrasse leurs caves ou greniers a deux intérêts au moins, nettoyer ses dépendances aisément sans aller plus loin que le bord de son trottoir pour les uns, fouiner dans ces rebuts abandonnés et livrés à une mort certaine afin d’y dénicher de bonnes affaires pour d’autres.

J’étais donc dans cette seconde catégorie quand arpentant les rues du voisinage je suis tombé sur une œuvre d’art dont je me suis entiché immédiatement. N’étant pas volumineuse et les passants inexistants j’ai rapporté en catimini ce fier trophée dans mon logis à moi, pour l’admirer tout à mon aise.

 

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Je ne connais donc pas le nom de l’artiste dans le cerveau duquel a mûri ce projet mais laissez-moi vous faire profiter de son talent évident. Œuvre moderne sans équivoque puisque constituée d’éléments de notre vie de tous les jours, toute sa force et sa beauté résulte de l’assemblage des deux éléments constituants allié au chatoiement des couleurs. Ce qui frappe immédiatement, outre l’esthétisme parfait, c’est le message politique délivré par l’artiste.

Une brique de jus de fruit en carton recyclable associée à un emballage en plastique pour un soda connu. Le discours est évident, l’artiste ne fait pas dans l’abscons, il ne cherche pas à nous entraîner dans des réflexions brumeuses nimbées de thèmes psychanalytiques, ici nous sommes en présence d’art brut, qui dit et sait se faire entendre. Les limites entre haute culture et culture populaire, que le Pop Art avait déjà largement remises en cause et transgressées, sont devenues virtuellement inexistantes.

Le jus de fruit d’ananas n’est pas anodin bien entendu, ce n’est pas de l’orange ni du raisin, le principal producteur mondial de ce jus est la Thaïlande depuis une bonne dizaine d’années. Quant à l’emballage plastique il désigne clairement, par un symbole éculé certes mais compréhensible par tous, le Coca Cola et donc les Etats-Unis. Si on s’attarde un peu, nous voyons une forme cubique stricte et dressée qui émerge d’un amas mou et écroulé, doit-on y voir une parabole - l’émergence d’un pays asiatique ayant enregistré de très bons taux de croissance ces dernières années sur les ruines future d’une Amérique en crise – seul l’artiste pourrait nous répondre avec certitude mais le doute est mince qu’il nous contredise. On notera aussi cette opposition entre le bleu et le rouge, le bleu symbolise le calme, la sagesse et la liberté, alors que le rouge, couleur du sang, évoque également la guerre, la destruction, la colère, la violence, la conquête et l'agressivité d’où cet équilibre chromatique parfait. Si je ne craignais de vous lasser, j’aurais évoqué avec plaisir l’ouverture de la brique cartonnée, franche et nette mais laissant le morceau découpé toujours attaché à la boîte, créant l’idée d’une bouche grande ouverte, comme la gueule d’un squale prêt à tout dévorer venant renforcer l’idée maîtresse d’un transfert des forces économiques entre les USA et l’Asie. Le squale/dragon domine l’œuvre et par là, le Monde, conforté par ce « 1 » énorme qui dit bien ce qu’il veut dire. Néanmoins prudent, l’artiste inscrit « juice » en langue anglaise et non en thaïlandais pour nous dire que les jeux ne sont pas encore faits.

J’en étais là de mon analyse sommaire, contemplant avec ravissement cette magnifique sculpture trônant désormais dans mon salon tout en songeant que « Le thème peut être ce qu’il veut. Beau ou laid. La beauté d’une œuvre d’art repose dans l’œuvre elle-même » quand ma femme survenant impromptue s’exclama sur un ton agacé en suivant mon regard, « Tu n’as pas encore descendu les poubelles ? ».      

 

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