08/12/2012
Repasseuses
La place était plutôt bonne. Engagée depuis maintenant six mois, Roseline n’avait pas à se plaindre de ce couple de bourgeois aisés chez lesquels elle trouvait désormais, le gîte et le couvert.
En arrivant de sa province avec sa petite valise et un pécule plus maigre encore, elle n’avait aucune idée de la manière dont son avenir se dessinerait. Aucun talent particulier, pas de diplôme prestigieux en poche et même son physique n’était pas un atout sur lequel compter. Il ne lui restait que sa bonne étoile pour guider ses pas dans la capitale.
Le décès de son dernier parent avait accéléré les choses, jusque là elle vivotait tranquille surla fermette. Le travail était rude, les temps libres très courts. Aucunes amies et encore moins de copain attitré. A la mort de son père, la maison retourna à son propriétaire qui la loua à de nouveaux métayers et Roseline fit son bagage. Arrivée dans la grande ville elle se rendit directement à l’église Sainte-Cécile dans le neuvième arrondissement et demanda l’abbé auquel elle tendit la lettre d’introduction que lui avait fourni le curé du village, juste avant son départ précipité. Les deux prêtres s’étaient connus au séminaire et correspondaient plus ou moins régulièrement, l’abbé des villes et l’abbé des champs n’ayant plus guère de points communs désormais. Surpris par la requête imprévue de son confrère, l’homme en noir confia la jeune femme à une sorte d’assistante sociale qui gérait les œuvres de charité de la paroisse.
C’est là que sa bonne étoile entra en scène. Le matin même, une place d’employée de maison s’était libérée chez les Pommadin et madame avait immédiatement fait paraître une annonce dans le bulletin paroissial. Le couple de bourgeois était bien connu de la sacristie, après chaque messe du dimanche matin, ils venaient courtoisement inviter monsieur le curé à déjeuner chez eux et il était bien rare que le tonsuré refusât l’invitation. En contrepartie, l’homme de Dieu se hâtait de satisfaire tous les désirs des Pommadin. L’arrivée de Roseline tombait à pic, elle fut dirigée aussitôt chez eux.
Gaétane lui ouvrit la porte, c’est ainsi qu’elle fit sa connaissance. Elle était bonniche chez le couple depuis près de cinq ans et priait dieu chaque soir pour que ça dure longtemps. Les patrons étaient aimables et justes, il y avait du travail mais le lit et la soupe étaient de qualité. Comme quoi, dire du mal des bourgeois, c’est parfois un peu hâtif. Ca, c’est ce qu’elle pensait, mais elle se gardait bien de l’exprimer tout haut quand elle discutait avec le personnel de maison des propriétaires alentour, chez l’épicier où toutes se retrouvaient presque chaque matin au moment des courses de bouche précédant la préparation du repas.
Très vite la provinciale et la soubrette en place devinrent amies, presque du même âge et d’un tempérament gai autant qu’honnête, les deux jeunes femmes s’entendaient à merveille et même les tâches les plus rebutantes n’entamaient pas leur bonne humeur. La corvée du repassage n’en était plus une, certes Roseline maniait plus souvent le fer que Gaétane mais la seconde par ses plaisanteries et commérages moqueurs sur le quartier déclenchait des fous rires qui les pliaient en deux durant de longues minutes.
Mais ce qui ravissait le plus Roseline, c’est lorsque sa collègue se lançait dans son imitation impayable de Gilbert Bécaud … « Et maintenant que vais-je faire / De tout ce temps que sera ma vie / De tous ces gens qui m’indiffèrent / Maintenant que tu es partie ».
Degas Repasseuses (vers 1884/86) – Huile sur toile 76 x 81 cm – Paris Musée d’Orsay
07:00 Publié dans Nouvelles | Tags : degas, repasseuses | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |
Les commentaires sont fermés.