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04/01/2013

L’écran de fumée s’est dissipé

Ce n’est qu’après coup que j’ai réalisé, comme dans ces séries policières où le détective devine qu’un indice lui échappe avant qu’il ne lui revienne à l’esprit quand débute l’épilogue. Moi, c’était la semaine dernière alors que j’étais au café avec des amis.

Nous étions au comptoir, devisant gaiment un bock à la main et je nous revoyais plus jeunes, ailleurs bien entendu mais dans la même occupation. Bien sûr l’âge, l’époque, avaient changé mais j’avais aussi conscience qu’un autre élément important différenciait les deux situations, c’était trois fois rien mais en même temps, ça faisait toute la distinction entre deux mondes. J’étais tout près de toucher du doigt ce « rien » mais il m’échappait sur l’instant.

Evidemment ça ma trotté dans l’esprit inconsciemment, jusqu’à ce que je réalise que ce n’est pas du doigt que je ramènerais à la surface ce qui me turlupinait, mais du pied ! Ce qui me troublait le soir où nous buvions nos bières devant le zinc, c’était le sol. Il était propre, j’entends par là, que rien ne le jonchait, aucuns mégots écrasés au bas du comptoir comme cheveux sous le siège du coiffeur.

Les temps avaient changé. Jadis au troquet, prendre une consommation au bar, signifiait piétiner un matelas doux et ouaté de filtres crasseux et de mégots de toutes tailles et couleurs. Selon le standing de l’établissement, le balai ne passait qu’une ou plusieurs fois par jour et parfois dans certains boui-bouis, atteindre son verre ou sa tasse obligeait à franchir un marécage répugnant quand les clopes éventrées finissaient d’éponger les diverses boissons répandues par mégarde ou les crachats délestés par des clients peu exigeants sur l’hygiène, voire n’en connaissant même pas la signification.

Pourtant ce tableau peu ragoûtant n’était pas le pire alors. Il faut aussi parler de la fumée. La fumée des clopes de tabac brun ou blond, car elle, ne se limitait pas aux abords du zinc, tout le monde ou presque enfumait son voisin, qui l’évacuait par le nez, qui par la bouche, d’autres se la gardaient bien au chaud dans les poumons et l’œsophage, comme un trésor précieux. Un nuage blanc comme du tulle, nimbait les lieux et les gens, brouillard local typique dont on ne s’échappait qu’en sortant. Du moins le pensait-on, car en fait la fumée a ce pouvoir extraordinaire, de s’accrocher aux vêtements et aux cheveux, comme une ombre de vous-même, une aura nauséabonde signalant votre présence à tout non-fumeur.  

Tout cela n’est plus et c’est cette absence qui m’avait troublé, ce soir-là.  Certes, j’ai pu évoquer ainsi un temps pas si ancien, mais n’y voyez aucune nostalgie car s’il est une chose qui m’insupporte, c’est bien l’odeur tabagique répugnante.   

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