Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/11/2007

La secte

Un carnet de voyage bien particulier, car si au départ il s’agissait comme d’habitude de relater un court séjour dans une grande ville, il s’est avéré comme vous pourrez le lire, si le courage ou l’envie vous y incite, qu’il s’agit plutôt d’une expérience mystique. 

            Cette année là, j’avais donc décidé de m’offrir une courte escapade d’une journée dans la plus belle des villes du monde, dans un pays francophone et de proximité immédiate, en un mot et pour faire court, disons le immédiatement sans tournures de phrases alambiquées ni circonvolutions qui n’apporteraient rien à notre propos et risqueraient même si on n’y prenait garde d’alourdir notre discours, ce qui reconnaissons-le pourrait porter tort à ce début de texte et vous pousser à zapper, hélas ! pour vous peut-être, car en tant qu’auteur ne pouvant être juge et partie je vous laisse l’entière responsabilité de vos choix, aussi j’irai droit au but au risque de faire une phrase trop sèche et sans style que j’espère vous voir me pardonner car mon but ultime, pourquoi le taire, c’est de vous indiquer au plus vite et le plus simplement du monde que mon court périple, ou pour dire plus communément voyage, devait m’amener à Paris.

Et quand je dis Paris, je parle de Paris France bien entendu et non pas du Paris Texas que le cinéphile qui dort en vous risque d’éveiller en sursaut ce qui vous amènerez à suivre avec difficulté la suite de mon histoire car il est certain que l’homonymie prête à confusion, encore que la confusion elle, puisse prêter à sourire ce qui peut être un plus dans une histoire comme celle-ci où il faut bien l‘ admettre certains peinent probablement à suivre le fil, aussi afin de vous éviter le léger mal de tête que vous sentez poindre au tréfonds de ce que vous croyez être votre cerveau, je rappelle pour ceux qui ont suivi et je confirme pour les autres, que je partais à Paris. 

            Donc, muni de mon titre de transport adéquat, j’embarquai de bon matin dans le bus n°10, ce fameux bus qui n’a jamais défrayé la chronique alors qu’il relie régulièrement Marly le Roi à Saint-Germain-en-Laye sans aucun incident notable, honte à la profession journalistique pour ne l’avoir jamais mentionné dans les colonnes de ses journaux où le fait divers sodomite le dispute au bulletin de santé papal. Arrivé sans encombre en bout de ligne et débarqué devant le château qui abrite un remarquable musée anthropologique à l’orée d’une esplanade qui offre une vue panoramique qui s’étend de la plaine de Montesson au mont Valérien sans rien cacher des tours Eiffel et Montparnasse ou, quand le ciel est dégagé, du Sacré Cœur, elle-même à l‘ entrée de la forêt où le cadre stressé vient jogger le dimanche matin, je m’engouffrais dans le RER que nous nommerons « A » par souci de confidentialité pure et simple et non comme un clin d’œil élitiste au mélomane qui dresse l’oreille en vous au souvenir ému des premières mesures du standard du jazz, « Take the A train ».     

            Le voyage débuta sous les meilleurs auspices, favorisé par la traversée de contrées avantagées, Chatou ou Le Vésinet par exemple, dont les noms évoquent la calme bourgeoisie de banlieue dans ses jardins fleuris, cachée des badauds par de hauts murs d’où s’échappent des glycines parfumées ou des lilas embaumant les ruelles alentours. Puis c’est un paysage moins agréable à l’œil et le constructeur dans sa grande sagesse préféra enterrer son RER pour éviter au passager délicat la vue de ces immeubles populeux où les masses travailleuses, comme on disait hier, en quête d’emploi comme on dit aujourd’hui, s’entassent en attendant les jours meilleurs qu’une météo politique leur promet (indice de probabilité 2 sur 5). Le train filait et dans le wagon c’était la vie habituelle des banlieusards, le lecteur de journaux gratuits épluchant la page sportive, le jeune en survêtement blanc et casquette américaine le regard perdu à l’écoute de son I-Pod, une beurette pendue à son portable tenant le wagon informé de sa soirée et de sa vie sentimentale, un cadre droit sur son siège, sa mallette frileusement serrée sur les genoux qui lit Le Monde tout en consultant régulièrement son Blackberry, sur les strapontins des Beurs pas si petits qu’on le dit se hurlent des conversations qui ne nous intéressent pas, à une station monte une main tendue appartenant à un SDF « … sans ressources et sans logement… une pièce ou un ticket… de quoi me laver …. dignité.. » qui redescend à la station suivante. 

            J’arrive au terme de mon trajet à Châtelet. Quand la porte du wagon s’ouvre, les lois de la physique sont mises à rude épreuve car ceux qui sortent doivent affronter dans l’étroit encadrement, la masse de ceux qui montent le regard fixant avec envie les places assises libres. Ce premier combat gagné, il faut maintenant parvenir à l’escalier qui lui aussi est pris d’assaut par la foule conjointe de deux RER se partageant un quai médian. Au milieu de ces flux contraires errent des zombis, rasta torse et pieds nus un gobelet en carton à la main et vociférant ses invectives au visage des voyageurs indifférents, plus loin, écroulée le long d’un murs pisseux une silhouette indéfinie baigne dans son vomi tandis que passe une escouade d’uniformes bleus en rangers. Comme j’atteins la sortie et les bornes où l’on doit introduire son ticket ce sont des éclats de voix au guichet qui attirent mon attention, un client énervé s’en prend violemment à la préposée et seule la vitre de son réduit la protège d’exactions que la pudeur m’oblige à taire. Alors que je passe mon ticket dans la machine je suis brutalement propulsé en avant, non par une technologie moderne d’expulsion des passagers mais par un resquilleur qui force le passage en profitant de mon titre de transport. Secoué mais l’honneur sauf,  je m’éloigne du malotru et me hisse à l’air libre loin de ces brassages de populace contenue à grand peine dans des couloirs parfois sordides.                   

            Le documentaire animalier n’est pas fini puisque à peine sorti de cette termitière je dois me colleter avec la fourmilière qui règne des abords de la sortie Lescot à la place Sainte Opportune. Commence alors un gymkhana entre des groupes statiques de tchatcheurs professionnels ou de dealers en pleine activité,  des cyclistes, patin-à-roulettistes ou planche-à-roulettistes les oreilles obstruées par les écouteurs de leurs baladeurs qui vomissent du MP3 obtenu grâce à des échanges peer-to-peer sur des sites Internet aux noms improbables, des bandes qui errent en se donnant des allures de marlous le regard aux aguets, des jeunes qui parlent fort pour attirer l’attention des filles qui passent semblant indifférentes mais dont les yeux brillants disent le contraire. Jonchant le sol, les canettes de métal et les papiers gras sont les fleurs du mal de ces tribus consuméristes qui arpentent les pavés cachant la plage. Passée la fontaine des Saints Innocents qui en ont trop vu pour le rester mes pas me mènent vers le boulevard Sébastopol que je franchis comme Orphée revenant des Enfers traversa le Styx. 

            Au loin, dépassant de l’alignement des immeubles, un flanc de tubulures métalliques annonce le colossal vaisseau spatial échoué dans le quartier depuis plusieurs décennies. David Vincent ne se sent plus seul, nous sommes des millions à avoir vu ou même pénétré cette chose incroyable qui a poussé comme un champignon dans l’Etoile Mystérieuse, ils existent donc, le musée Beaubourg en est la preuve. Seuls les initiés savent que dans les sous-sols des hordes de mutants tentent de relier par des souterrains secrets, le monolithe du futur proche, à la pyramide du Louvres ou passé récent. L’entrée devenant la sortie et vice et versa, les courants telluriques pourront se déchaîner et offrir à Dan Brown un tome 2 à son Da Vinci Code.  Taisons là des secrets qui ne peuvent que troubler le béotien.

            J’avance donc, calme et confiant comme un chinois face aux chars sur la place Tien Ammen, vers la structure de métal et de verre. Telle une cathédrale, à ses pieds un parvis à sa mesure accueille les gueux qui mendient et les dévots qui en franchissent les portes à la recherche d’un savoir qu’ils croient proche mais qui leur passera au-dessus de la tête, comme le vol du Saint-Esprit, en raison de l’ésotérisme des expositions. Je tangente le vaisseau par la droite sans m’effrayer de la fontaine de Nikki de Saint-Phalle, et m’engouffre dans une ruelle qui donne dans la rue du Temple, je contourne la cordonnerie qui en fait l’angle et j’aperçois ma caserne, l’oriflamme vert et rouge claquant au vent. 

            La rue de la Verrerie me happe et un attrait irrésistible me pousse vers le n°34 dont je passe le porche du pas de l’habitué. Un bonjour cordial pour le gardien, petit gros sympathique qui semble épargné par la saudade et je me tasse dans l‘ ascenseur étroit qui me monte au quatrième étage. La porte est là, un bref instant j’hésite, « Fuis ! Dévale l’escalier en courant et retourne au pays merveilleux ! » me crie une petite voix. « Trop tard ! » dit ma main qui déjà pousse l’huis qui s’écarte. Le pouvoir du gourou est trop fort, les filtres du chaman ne peuvent être combattus, le petit nerveux à lunettes a encore gagné. Cette fois encore je prends place dans l’attelage mais un jour, un jour peut-être, un jour certainement, je prendrai ma retraite …    -Avril 2005-