17/11/2007
Les carreaux sales
Ca fait deux ans qu’il est à la retraite Roger. Enfin, ça fera exactement deux ans à la Noël. Avant , il travaillait à la mairie du village. Il faisait un peu tout là-dedans, concierge, secrétaire et même du bricolage s’il le fallait. « Peuh ! Sans moi je voudrais bien les voir, le maire et son conseil municipal ! » Répétait à tout propos Roger. Il faut dire qu’en plus de quarante ans, il en avait vu passer des maires, alors que lui il restait fidèle au poste. Du coup il estimait, peut-être à tort, que la mairie c’était un peu chez lui. A l’ancienneté elle lui revenait de droit.
Pourtant, un beau jour il a du prendre sa retraite. Lui, il serait bien resté à son poste jusqu’à la fin, comme le commandant du Titanic après avoir fait connaissance avec l’iceberg mais dans l’administration c’est règlement-règlement ! Alors il avait déménagé ses affaires personnelles, laissant son bureau propre comme un sou neuf. Evidemment, dès que quelqu’un râlait à propos du maire, le Roger était là pour en rajouter. « De mon temps ça ne se serait pas passé ainsi ! » ou bien « Je l’avais bien dit que quand je partirai ça serait le bordel ! » Au village tout le monde en riait et s’amusait à l’asticoter au sujet de la mairie et lui, à chaque fois, il plaçait son couplet.
La retraite au début c’était bonnard, ça lui faisait comme de longues vacances en somme. Il déambulait dans la Grand ’ rue à discuter avec les commerçants. « Salut la boulange ! Comment vont tes bâtards ? » « Bonjour Gaston, qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? Ah ! Tu as une langue de veau. Bah ! Faut voir un toubib mon vieux ! ». Et puis un jour les plaisanteries l’on lassé, il a commencé à s’ennuyer. Reconnaissons qu’à soixante sept ans, Roger est encore alerte et en bonne santé. Ce qu’il lui fallait, c’était un petit boulot.
Une idée lui est venue, il a été voir la mercière, le boulanger, le boucher et tous les autres qui tenaient boutique afin de leur proposer un marché. « Je vous nettoie vos vitrines et vous, vous me payer en argent ou en nature, comme ça vous arrangera ». Certains ne furent pas intéressés, comme le boucher « J’ai déjà un commis qui ne fout rien et que je dois payer, alors nettoyer les carreaux ça l’occupe » Néanmoins plusieurs boutiquiers se mirent d’accord avec lui.
Toutes les vitrines devaient être lavées une fois par semaine et comme il voulait faire son boulot tranquillement, il ne s’occupait que de deux boutiques par jour ; ça lui passait son après-midi.
Le Roger s’était fait un planning, le vendredi il traitait la poissonnerie, le mardi c’était la boulangerie parce que ce jour-là le patron préparait des pizzas. Mais ce qu’il aimait le plus, c’était de faire le café de la Grand ’ rue. Là, il était payé en liquide, enfin je veux dire en argent liquide, car il n’était pas trop porté sur l’alcool, mais surtout il y avait Lise, la serveuse. Dix-huit ans, mignonne comme on l’est à cet âge. Tous les mercredis après-midi, il déboulait sur sa mobylette, ses seaux sur le porte-bagages et un escabeau fixé sur son dos.
- « Ca va Lise ? »
- « Toujours à plaisanter monsieur Roger. Oui ça va et vous ? »
- « Bof ! On fait aller. Bon, il n‘y a personne, ça sera plus facile pour travailler. Allez, je vais déballer mon matériel »
- « Vous voulez que je vous aide, je n’ai rien à faire pour l’instant ? »
- « Tu peux remplir mon seau si tu veux ! »
Lise s’éloigne vers la cuisine et Roger déplace les tables et les chaises qui se trouvent trop près de la vitrine avant d’installer sa petite échelle. Entre temps la serveuse est revenue avec son seau plein et le pose au sol. Roger y plonge son éponge et commence à escalader son escabeau.
- « C’est pas trop haut pour vous monsieur Roger, à votre âge il faut faire attention »
- « Faut bien nettoyer tout en haut ! »
- « Laissez-moi le faire … »
- « Oh ! T’es bien gentille ma petite … »
Roger laisse sa place à Lise. La mignonne ingénue montait à l’échelle avec souplesse tout en remuant délicieusement son petit popotin. Le Roger n’en perdait pas une miette, placé comme il l‘était, le tablier blanc et la courte jupe n’arrivaient pas à cacher grand-chose des cuisses fraîches de la jeune fille.
- « Tenez ! Vous pouvez mouiller mon éponge ? »
- « Bien sûr, donne … ! »
En se penchant sur le seau, Roger lança un coup d’œil furtif vers la gamine. La vue de son slip en coton blanc l’émoustilla. Il se sentit frétiller, à son âge il n‘en revenait pas.
- « Attends Lise, l’eau est sale. Tu me montres la cuisine ? »
- « Venez, c’est par là »
Roger porta le seau jusqu’à la souillarde et le vida dans l‘évier, puis il plaça le récipient sous le robinet et laissa couler l’eau lentement.
- « Ton père n’est pas là ? »
- « Il est à la coopérative, des problèmes de livraison à régler… »
- « Tu sais que tu es mignonne, il s’appelle comment ton fiancé ? »
Roger s’était approché de Lise et avait posé une main sur la hanche de la petite. Son frétillement semblait tenir la distance.
- « Allons, monsieur Roger, laissez-moi ! «
- « N’aie pas peur ma cocotte, je ne suis qu’un pauvre vieux »
Vieux, peut-être, mais pas manchot. Ses mains couraient de plus en plus vite sur le corps de Lise. La fille recula acculée contre le mur. Roger ne se sentait plus.
- « Juste un baiser, allons Lise ? Un petit bécot et je te laisse ! »
- « Vous êtes fou monsieur Roger, lâchez-moi ou je crie ! » A cet instant le père de Lise fit son entrée.
- « Qu’est-ce que c’est que ça ? Vieux dégoûtant ! Salaud ! »
- « Vous énervez pas ! Attendez … »
- « Sale porc ! Où est mon fusil ? »
- « Papa ! Arrête ! »
Dans le café c’était la panique, le père courait chercher son arme, sa fille sur ses talons et tâchant de le retenir. Le Roger, lui, il avait débandé vite fait et il se hâtait de récupérer ses affaires.
Il poussait sa mobylette pour la faire démarrer quand le père de Lise apparut sur le seuil de sa porte, le tromblon à la main.
« J’vais le crever cette ordure ! » Hurlait le cafetier en épaulant son arme. Roger pédalait comme un beau diable sur sa pétrolette qui zigzaguait dangereusement sur la route. Le père offensé, fit feu deux fois, les plombs retombèrent en pluie sur le macadam autour du fuyard, sans l’atteindre. Les seaux mal arrimés roulèrent dans le caniveau et bien qu’encombré de son escabeau, Roger réussit à garder un équilibre précaire et à filer par une ruelle adjacente.
Depuis ce jour, il faut en convenir, les vitres du café ne sont jamais très nettes.
15:50 Publié dans Nouvelles | Tags : Les carreaux sales, nouvelle | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |