Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/11/2012

L’homme sans alphabet

Il y a quelques jours à peine, dans le RER qui s’enfonce dans le cœur de Paris, un homme d’un certain âge à moins qu’il ne fût usé prématurément par la vie, sac au dos, se fraye avec difficultés un chemin vers l’unique place assise, non loin de moi de l’autre côté de l’allée entre les sièges.

Je lis mon journal, mais sans même le regarder je sens sa fébrilité et sa nervosité. Je devine aisément qu’il s’agit d’un SDF, ils sont légions dans ces métros express. Soit vautrés et installés pour la vie sur un banc du quai, soit dans une rame, poussés par on ne sait quelle urgence qui les emmène ailleurs.

Il tourne la tête à droite et à gauche, semblant chercher quelque chose, qui visiblement ne vient pas. En fait, il devait hésiter à se lancer et quand il le fait, c’est à son voisin de face qu’il s’adresse, un homme qui compulse ses messages sur son Smartphone. D’une voix grasseyante mais nette, il demande à l’homme de lui signaler quand le RER sera en gare de Nation, car il ne sait pas lire. Son interlocuteur lui répond poliment, indiquant le nombre d’arrêts avant la gare mais le prévient que lui, sera descendu avant cette station. L’homme dans la peine, répète à haute voix et plusieurs fois ce qui lui a été dit, comme pour mieux s’en imprégner.

Dès que le voyageur est descendu, il réitère sa question à la cantonade et la réponse qu’il obtient est bien entendu la même. De nouveau, il se reformule à haute voix ce qu’il vient d’entendre. Alors que je m’apprête à quitter le wagon au Châtelet, il me repose la question fatidique, je le renseigne à mon tour en évitant d’être désagréable en lui faisant remarquer que le haut-parleur intérieur à la rame diffuse le nom des stations en approche et qu’à preuve du contraire il n’était pas sourd.

Ne croyez pas que j’étais à deux doigts de me moquer, loin de moi cette idée, la remarque que je me faisais in petto n’était qu’une constatation de bon sens, sans plus. Au contraire, j’étais touché au plus profond par le terrifiant handicap de cet homme. Est-il plus dur d’être analphabète ou bien non-voyant ? Ce n’est pas une devinette. 

Quel genre de vie peut mener un homme qui ne sait pas lire ? Quand on est exclus des signes, il faut certainement user de mille stratagèmes quotidiens pour tenter de se faufiler dans la vie. L’ignorance des mots doit vous bouffer une énergie folle pour effectuer la moindre tâche. Une personne sur dix en France, ne saurait ni lire ni écrire, selon une enquête de 2008. Effarant.

Alors, quand vous lisez mon blog, n’hésitez pas à le faire à haute voix, de façon à ce que tout le monde en profite !