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29/07/2010

Cuisine moléculaire

Dans le roman d’Anatole France La rôtisserie de la reine Pédauque paru en 1893 et dont je vous parlais hier, j’ai lu avec étonnement ce passage qui préfigure cette nouvelle cuisine qui apparaît aux quatre coins du monde, représentée en France par les Grands Chefs, Pierre Gagnaire et Thierry Marx, plus connue sous le nom de gastronomie moléculaire. Les pots au feu et tartes Tatin sont remplacés par des émulsions et des mousses, le contenu de votre assiette qui se déguste avec une loupe d’horloger dans l’œil et une pince de philatéliste dans la main, étant inversement proportionnel au montant de votre addition.

« — Ce ne sera là, poursuivit celui-ci, qu’un progrès encore bien insuffisant. Un honnête homme ne peut sans dégoût manger la chair des animaux et les peuples ne peuvent se dire polis tant qu’ils auront dans leurs villes des abattoirs et des boucheries. Mais nous saurons un jour nous débarrasser de ces industries barbares. Quand nous connaîtrons exactement les substances nourrissantes qui sont contenues dans le corps des animaux, il deviendra possible de tirer ces mêmes substances des corps qui n’ont point de vie et qui les fourniront en abondance. Ces corps contiennent, en effet, tout ce qui se rencontre dans les êtres animés, puisque l’animal a été formé du végétal, qui a lui-même tiré sa substance de la matière inerte. On se nourrira alors d’extraits de métaux et de minéraux traités convenablement par des physiciens. Ne doutez point que le goût n’en soit exquis et l’absorption salutaire. La cuisine se fera dans des cornues et dans des alambics, et nous aurons des alchimistes pour maîtres queux. N’êtes-vous point bien pressés, messieurs, de voir ces merveilles ? Je vous les promets pour un temps prochain. Mais vous ne démêlez point encore les effets excellents qu’elles produiront.

— À la vérité, monsieur, je ne les démêle point, dit mon bon maître en buvant un coup de vin.

— Veuillez, en ce cas, dit M. d’Astarac, m’écouter un moment. N’étant plus appesantis par de lentes digestions, les hommes seront merveilleusement agiles ; leur vue deviendra singulièrement perçante, et ils verront des navires glisser sur les mers de la lune. Leur entendement sera plus clair, leurs mœurs s’adouciront. Ils s’avanceront beaucoup dans la connaissance de Dieu et de la nature. Mais il faut envisager tous les changements qui ne manqueront pas de se produire. La structure même du corps humain sera modifiée. C’est un fait que, faute de s’exercer, les organes s’amincissent et finissent même par disparaître. On a observé que les poissons privés de lumière devenaient aveugles ; et j’ai vu, dans le Valais, des pâtres qui, ne se nourrissant que de lait caillé, perdent leurs dents de bonne heure ; quelques-uns d’entre eux n’en ont jamais eu. Il faut admirer en cela la nature, qui ne souffre rien d’inutile. Quand les hommes se nourriront du baume que j’ai dit, leurs intestins ne manqueront pas de se raccourcir de plusieurs aunes, et le volume du ventre en sera considérablement diminué. »

Néanmoins n’allez pas croire que l’un fut visionnaire et les autres précurseurs – ils ont tous leurs talents inutile d’en rajouter – puisqu’en leurs temps Lavoisier (1743-1794), Parmentier (1737-1813) ou Liebig (1803-1873) explorèrent la chimie des transformations culinaires. Par contre Anatole France lui, envisage des effets secondaires qui peuvent faire sourire – et c’est le but recherché – mais au moins lui a cet aspect du problème en tête.