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10/05/2016

Les tranchées

J’ai tout de suite constaté que je n’avais plus mon casque sur la tête, ni mes lunettes sur le nez. Allongé de tout mon long sur le ventre, à peine sorti de l’inconscience, ma main tâtait mon corps comme pour me persuader que tous les morceaux étaient à leur place. Je ne souffrais pas, non, mais je n’avais plus aucun souvenir de ce qui s’était passé ces dernières heures.

L’absence du casque me contrariait, non pas pour ma sécurité physique à laquelle je ne songeais pas en cet instant, mais plutôt parce que je craignais l’engueulade du chef de section qui cent fois nous l’avait répété ; le casque était notre seule protection fiable, rien ne devait nous séparer de cet accessoire vestimentaire essentiel, de plus, nous n’en avions plus en rab’ et donc, tintin pour le faire remplacer. Je savais que ça allait gueuler sous peu. Mes lunettes disparues, ne devenaient qu’un aléa sans conséquence.

Pourtant, au fur et à mesure que je reprenais mes esprit, mon cerveau enregistrait des données contradictoires : d’un côté je m’inquiétais de conséquences à venir tout en me demandant où j’étais, d’un autre, je me sentais bien, je dirais même très bien. La preuve, j’ai commencé à m’étirer lentement, pour éviter tout bruit qui pourrait me nuire, une sensation de bien-être absolu m’a envahi. Tout cela était bien étrange en vérité.

Lentement j’ai tourné la tête, dans cette pénombre j’avais du mal à me situer. Le contact du sol m’a paru très doux contrairement à ce que j’envisageais, ni terre ou sable dans les cheveux ou sur les joues, au contraire, du moelleux, du chaud. J’ai écarquillé les yeux car une luminosité venait d’attirer mon attention à hauteur de mes prunelles, créant un choc émotionnel profond en moi. Les diodes rouges étaient formelles, il était 7h10, je pouvais faire confiance à mon réveil qui jamais ne m’avait trahi.

Je me suis retourné sur le dos, reprenant mes esprits afin de mettre mes idées en place.  Tout n’était donc qu’un rêve, un cauchemar de guerre et de tranchées, une version très personnelle de Verdun sous la mitraille. Putain ! Où est-ce que j’allais chercher tout ça ? Novembre et ses commémorations était loin, je n’avais ni lu de bouquins, ni vu de films sur le sujet… Je me suis levé, j’ai ouvert les volets, et puis j’ai compris.

Sous mes fenêtres, les tranchées creusées par les ouvriers chargés de remplacer les tuyauteries d’eau défectueuses, gouffres béants saccageant le paysage de pelouses du domaine, gagnaient chaque jour du terrain, comme un long serpent se propageant d’immeuble en immeuble, menace sourde et rampante, promesse de vacarme de tractopelle et de coupures d’eau à venir. Cette guerre ne faisait que débuter.