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22/06/2008

Les champignons

Je n’ai pas toujours été un garçon filant droit dans les clous. Le cèpe et l’agaric ne sont pas les seuls champignons que je connaisse. J’évoque souvent la fin des années 60 comme une sorte d’âge d’or, un paradis perdu, car c’était le temps où je sortais de l’enfance et où le monde explosait trop à l’étroit dans son costume devenu ringard, mais la décade des années 80 n’en fut pas moins belle. Ce furent les nuits courtes, les fêtes et les excès, les sorties et les concerts plusieurs fois par semaine, mes années rock’n roll. Pour exemple, en mai 1980, le 5 j’étais au Bataclan pour voir Elvis Costello, le 8 au Théâtre de L’Empire pour un enregistrement de l’émission de télévision Chorus avec les groupes James Chance et Martha and the Muffins, le 18 au Palace pour Garland Jeffreys et le 24 de retour à l’Empire pour la même émission mais cette fois avec Johnny Guitar Watson avant de clore le mois le 27 au Palais des Sports pour les Clash. Les alcools étaient souvent de la partie, bières et tequilas, mes Camel (oui, à cette époque je fumais aussi) parfois remplacées par des cigarettes aux odeurs plus entêtantes et qui incitaient à rire. J’ai aussi connu quelques aventures hallucinantes au sens premier du terme. Notre petite bande dont le camp de base se situait près de la place du Colonel Fabien, s’était procurée un bocal de champignons hallucinogènes, des psilocybes, ces champignons magiques poussant principalement au Mexique mais dont on trouve des variétés en France aussi. Cueillis et séchés, biologiques en somme, ils n’attendaient plus que notre bon vouloir. Sans fioritures, c'est-à-dire sans passer par l’étape cuisine qu aurait consisté à les incorporer à un gâteau ou autre recette, nous les avalions par pincée, comme nous eussions prisé du tabac. Quelques minutes plus tard un bouillonnement interne nous poussait à bouger, sortir pour dépenser une énergie croissante. A deux heures du matin, nous arpentions alors le secteur entre la République , la rue du Temple et les Buttes Chaumont. Le Gibus était souvent un point de chute, où nous évacuions ce surplus de vitalité en nous trémoussant sous le déluge de décibels qu’un groupe punk balançait sans ménagement sur la petite foule d’excités venus transpirer tous ses pores, sous le plafond bas et les murs suintant de condensation de la célèbre boîte Parisienne. Tout ceci n’aurait pas un grand intérêt s’il n’y avait eu la fameuse soirée au Saint. Plus de vingt ans plus tard, je ne sais toujours pas si j’ai vu ce que j’ai vu ou si l’hallucinogène frappa réellement fort ce soir là. La bande était réduite à sa plus simple expression, ma copine Pascale, Cathy et moi. Nous avions certainement commencé par faire tourner le tarpé, roulé de main de maître par l’une des deux mignonnes, lancés dans une discussion qui n’avait certainement ni queue ni tête quand Pascale certainement, proposa de bouger et d’aller en boîte. Mais pour que la soirée soit mémorable elle proposa quelques champignons. Herbe et champignons nous en restions aux produits naturels. En deux temps et trois mouvements nous voila partis dans ma vieille R12 en pleine nuit, vers le Saint une boîte de la rue Saint Séverin, dans les caves voûtées du quartier Latin. J’étais donc déjà sur un joli petit nuage quand nous arrivons, mon esprit en léger décalage avec mon corps, je me regardais évoluer, témoin extérieur de mon propre moi. Vagues souvenirs, de tables basses et de corps étalés sur les banquettes, de musique indéfinie mais lourdement rythmée. Et puis ces hallucinations ou réalité ? Vautré au fond d’un canapé, malgré le tumulte facilement imaginable dans une boîte, j’arrive à suivre très distinctement la conversation des gens installés à l’autre bout de la salle, comme s’ils étaient à mes côtés. Je n’étais pas au bout de mes surprises quand sur la piste de danse, les trémousseurs sont inexorablement remplacés par les membres d’une secte ( ?), des blacks en longues robes noires faisant cercle autour de la piste, puis libérant le cercle pour qu’entre en son centre, un noir énorme et chauve, vêtu lui aussi d’une toge et se dandinant comme un gros ours lourd, avant de retourner dans l’obscurité accompagné de sa troupe et que les danseurs classiques reprennent leurs activités interrompues quelques instants par cette apparition grotesque et légèrement inquiétante, pour moi seul à l’évidence, car quelques jours plus tard quand j’en reparlerai à mes amies, aucune n’en aura le souvenir. Quand nous quitterons le Saint, le retour restera une interrogation, car je ne me rappelle plus comment nous avons retrouvé notre route, mais sachez que nous avons mis au moins une heure, pour rallier le Quartier Latin à la rue aux Ours, une ruelle perdue au cœur de Paris, alors que la nuit tendait à laisser la place au jour. Hasard de la vie, ce sera ma dernière expérience hallucinogène. Sans faire l’apologie de ce genre d’aventures, je dois néanmoins constater qu’elles m’ont permis de mieux appréhender certaines lectures, récits anthropologiques sur les chamans, romans expérimentaux de William Burroughs, œuvres de De Quincey ou Castaneda etc. Depuis il y a prescription, je ne fume plus, je ne bois plus, j’ai même arrêté de conduire et la vie est toujours aussi belle.