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23/08/2008

Un calvaire breton

Le village est charmant, à l'écart des routes principales, au bord de l'océan. Scaër est un petit bourg breton du Finistère sud, très typique encore en ces années 60' avec ses maisons en grosses pierres, son calvaire à l'entrée du village, ses petits commerçants et ses vieux sur le pas des portes, en sabots comme sur les cartes postales.

Quelques centaines d'habitants à Scaër, tout le monde se connaît et est plus ou moins apparenté. Les anciens sont pêcheurs et survivent tant bien que mal mais les quelques jeunes n'acceptent pas l'ingratitude de la mer. Un travail si dur et si dangereux qui assure à peine la subsistance d'une famille. Ils préfèrent aller à Rosporden, la ville la plus proche, où dans la fabrique de cirage, ils trouvent un emploi stable, qui n’à que faire des conditions météorologiques ou de la pollution. Le travail en usine semble leur seul avenir. La vie en Bretagne n'a jamais été facile et il y a peu de chance que cela s'améliore. Bien sûr, les vieux trouvent que les jeunots se la coulent douce...

Le matin, le car de l'usine vient les chercher sur la place de l'église et le soir il les ramène. Certains préfèrent prendre la voiture. Ils ont deux jours de repos par semaine, alors que le pêcheur lui, doit encore ravauder ses filets. Eternel conflit des générations. De toute façon, tout le monde se retrouve le dimanche matin à la grand' messe. Là, on fait des efforts de toilette, costume sombre pour les hommes, avec la chaîne de montre qui pend du gousset, les femmes avec leurs coiffes de dentelle si ingénieuses. Chaque région à sa coiffe particulière et rien qu'à sa vue, on sait si vous venez de Saint-Brieuc, Paimpol ou Concarneau. La plus célèbre est la haute coiffe bigouden, une sorte de long tube en dentelle, comme en équilibre sur la tête, que l'on porte dans la région de Pont-l'Abbé. Mais les traditions se perdent et seules les petites vieilles portent encore ce genre de béguin.

A la sortie de l'office religieux, on se retrouve sur la place. Les femmes bavardent, les gamins courant entre leurs jupes. Les hommes en profitent pour s'éclipser discrètement vers le bistro et devant un verre de muscadet, les plaisanteries fusent et les claques dans le dos ébranlent les cages thoraciques. Les pommettes rouges et les yeux brillants on retourne chez soi pour le repas dominical.

Il n'y a qu'une école au village, un couple d'instituteurs, venus de la ville s'en occupe. La femme se charge des tout petits et son mari enseigne aux gamins. Le soir, après l'école, vient le moment du catéchisme. C'est monsieur le curé qui s'en occupe. Le mardi pour les garçons, le jeudi pour les filles. L'église a du mal à pratiquer la mixité des cours.

Les enfants sont si peu nombreux que l'enseignement se fait dans la sacristie. On prend deux bancs dans la nef, le curé s'adjugeant la seule chaise de la pièce. L'abbé commence par demander des explications aux marmots qui étaient absents à la messe du dimanche, puis il félicite ou réprimande les enfants de chœur pour leur prestation. Le catéchisme en lui-même est assez succinct. Il suffit d'amener les petits jusqu'à la communion solennelle, les parents n'en demandent pas plus. Certains gosses semblent complètement imperméables à la théologie, s'embrouillant avec le Saint-Esprit qui descend du ciel, le Fils qui y remonte et le Père qui lui, n'en bouge pas !

Enfin, monsieur le curé faisait ce qu'il pouvait et si les garçons étaient remuants, les petites filles étaient si douces et gentilles. Le vieil homme ne pouvait s'empêcher d'avoir sa préférée. Yolande était si mignonne avec ses longs cheveux blonds et ses taches de rousseur sur sa frimousse toujours enluminée d'un sourire. A dix ans, c'était une des plus vieilles à suivre les cours de catéchisme. Quand l'heure était finie, elle seule restait avec le prêtre pour l'aider à ranger la sacristie. Pour la remercier, il lui offrait un fond de verre de vin de messe avec des sablés qu'elle y trempait. Yolande ne parlait pas beaucoup mais on voyait bien qu'elle était contente.

Pourtant, la petite change, devient morose et sa mère qui s'en rend compte décide d'aller voir le médecin. Celui-ci l'examine ne lui trouve rien de particulier et y voit là, les premiers signes de la puberté. La mère n'est toujours pas rassurée, Yolande est moins assidue dans son travail scolaire et surtout elle parait répugner à aller au catéchisme alors qu'elle se faisait une telle joie

 Il y a quelques mois, à préparer sa communion. Elle parlait de la cérémonie avec tant d'entrain

s'imaginant déjà en aube blanche avec ses petites camarades, défilant au centre de l'église, vers l'autel ou l'attendait l'évêque. Et puis ses parents lui avaient promis de lui faire un joli cadeau à cette occasion. Alors pourquoi cette tristesse dans ses yeux ?

Sa grande sœur, qui vivait à la ville depuis son mariage, devait venir passer le week-end à Scaër, peut-être que Yolande se confierait à elle. Sa mère l'espérait, car ce n'était à ni rien comprendre ce changement d'attitude.

Quand Armel arriva avec son mari, dans la matinée de samedi, sa mère lui expliqua le problème. Elle comptait sur elle pour faire parler la petite.

L'ainée profita de l'après-midi ensoleillée pour emmener la petite à la plage. Armel commence par la taquiner sur son éventuel amoureux qui lui ferait des misères, mais non, ce n'est pas cela. Enfin, acculée par les questions de sa sœur, l'enfant avoue que c'est monsieur le curé qui l'embête. Armel n'est pas trop surprise par les déclarations de Yolande, elle-même a suivi en son temps, le catéchisme avec l'abbé. Mais il n'y avait pas de quoi s'affoler, une tapette sur le derrière de temps en temps, une petite bise sur la joue, c'était normal, il l'aimait bien et comme elle travaillait sérieusement, il était gentil avec elle.

Yolande est alors comme soulagée de pouvoir enfin se confier, l'abbé ne l'a pas seulement embrassée sur la joue. Elle donne des détails. Il ne lui faisait rien devant ses petites copines, il attendait qu'elles soient parties et c'est alors qu'il se livrait à des attouchements assez poussés.

Au début l'enfant n'avait pas compris, il était gentil, voilà ce qu'elle se disait. Puis il avait profité de son avantage un peu plus. Quand la gosse avait menacé de se plaindre, il lui avait dit que personne ne la croirait et qu'au contraire, c'était elle qui passerait pour une petite dévergondée et profitait de la bonté de monsieur le curé. Comment se confier, qui penserait qu'un prêtre pouvait mentir et faire de si  vilaines choses, se disait Yolande.

Armel en discuta avec ses parents et la famille décida d'aller consulter le maire. Celui-ci les reçus dans son bureau, à la mairie. Etonné, il écoute leur histoire, sans un mot. Quand ils ont fini, il leur déclare qu'il a déjà entendu des rumeurs de ce genre sur le curé mais que ce sont des ragots de petites filles trop imaginatives et qu'ils feraient bien mieux d'oublier tout ça. Se levant, il les raccompagne à la porte de son bureau.

Plusieurs jours passent, les Leguen commencent à sentir une légère hostilité autour d'eux. Rien de précis, juste une impression indéfinissable. Les camarades de Yolande la boudent, on ne vient plus la chercher pour jouer ou aller à la plage.

Arrivent les premières lettres, "... après Armel qui fait la bamboche en ville, c'est sa sœur qui s'y met !", "... à défaut d'être une grenouille de bénitier, la Yolande s'attaque aux anguilles de caleçon..." etc... Les voisins les évitent, chez les commerçants c'est pire, à peine si on leur adresse la parole. Par contre, dans leur dos, les commentaires vont bon train. Les Leguen retournent voir le maire.

Celui-ci les reçoit très rapidement, d'un air agacé. Après tout c'est de leur faute, qu'est-ce que c'est que ces histoires qu'ils avancent sur le curé. D'abord, ont-ils des preuves ? Non, alors...?

Il est connu au village le curé, l'archevêché l'a en estime, c'est Monseigneur en personne qui est intervenu auprès du directeur de l'usine de cirage pour créer un ramassage des ouvriers par car. Alors, hein... Et puis, l'abbé peut bien avoir une petite faiblesse, à son âge...

En rentrant chez eux, dans la boîte aux lettres, une nouvelle lettre anonyme les attendait. Plus ignoble encore.

Les Leguen ont déménagé hier. Leur voiture a quitté Scaër, au moment où les cloches sonnaient, pour appeler les fidèles à la messe.

 

13:48 Publié dans Nouvelles | Tags : calvaire, curé, bretagne | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |