04/06/2013
Les dieux lares
Les Romains avaient leurs dieux lares, esprits tutélaires chargés de protéger la maison, le quartier ou la rue. J’ai chez moi une statuette qui remplit peut-être ce rôle, du moins est-ce l’idée que j’en ai quand je me surprends à la contempler d’un air interrogatif.
Le plus souvent je ne fais guère attention à elle, tellement habitué à la voir sur son étagère qu’en fait elle me devient transparente. Pourtant, quelle gueule ! Toute de bois et raphia, copie d’un art ethnique d’origine non certifiée quoique je tablasse sur la Polynésie, je ne sais pas ce qu’elle est sensée représenter. Cheveux au vent, à genou devant une large écuelle dont je me sers comme vide-poche, le menton prognathe et l’œil mauvais, elle regarde le monde comme si elle lui souhaitait tous les malheurs possibles. Parfois il me vient à l’idée que c’est de l’utiliser comme vide-poche qui la contrarie, mais je me souviens alors qu’elle avait déjà cette tronche en entrant ici.
L’habit ne fait pas le moine et on ne juge pas d’un livre à sa couverture, certes, mais il n’empêche qu’une sale gueule ne peut pas inspirer naturellement et d’emblée une confiance souhaitable. Du coup j’ai imaginé que le rôle de cette figurine était d’éloigner les importuns de chez moi, antique figure de l’épouvantail de nos campagnes repoussant les oiseaux indésirables des sillons fraichement ensemencés. Chacun voyant midi à sa porte, je lui ai attribué la fonction qui m’arrangeait et partant du principe que, qui ne dit mot consent, n’ayant pas entendu l’idole contester mon idée, le débat s’est éteint de lui-même.
Néanmoins je ne peux écarter l’idée que ce soit un génie malfaisant, introduit chez moi dans un but inconnu et attendant son heure pour frapper. L’aspiole m’épie et note mes faits et gestes, rendant compte peut-être à un esprit supérieur. Une fois de plus vous constaterez que je ne suis pas en manque d’imagination mais tant que vous ne pourrez me prouver le contraire, mes hypothèses en valent bien d’autres.
Comme celle-ci, beaucoup plus prosaïque. Il s’agit tout simplement d’une statuette en bois, sans signification particulière, sculptée par un artisan pas particulièrement doué ou mal outillé et j’en veux pour preuve qu’il n’est pas foutu de reproduire des mains acceptables avec son bout de bois. Par ailleurs, n’étant pas doté d’une imagination bien riche, il l’a représentée à son image, ce qui est la solution la plus simple. Nous pouvons donc en déduire, mon cher Watson, que notre artisan n’était pas bien beau, pas très doué et pas très malin. Moralité, voir un dieu lare dans ce travail de cochon, c’est pousser la fabulation un peu loin.
07:00 Publié dans Echos de ma vie | Tags : dieux, polynésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | | |