Pour vivre heureux vivons caché

Quand vient l’époque des vacances d’été je rejoue le même jeu tous les ans, à savoir une maison confortable dans un village, voire un hameau, loin du monde et du bruit. La France est si belle que toutes les régions font l’affaire, cette année le sort avait désigné la Creuse , le sud du département dans la région d’Auzances, un bled qui n’est mentionné que sur les cartes de l’état-major. Une église, un café auberge sur la départementale qui tangente le village, une épicerie faisant dépôt de pain et un boucher charcutier voici le détail exhaustif des commerces de ce petit paradis. Car ce fut le paradis, une sorte de répétition dans l’optique d’une retraite qui arrive trop lentement à mon goût, mais sûrement. Quand on arrive de la région parisienne, le contraste est fort mais quel bonheur le matin quand on ouvre les volets de bois, de sentir un air frais et pur, chargé d’odeurs de foin coupé, d’herbes et de fleurs. N’avoir comme nuisances sonores que les cloches de l’église sonnant en sourdine, le ronflement d’un tracteur tirant une ridelle chargée de roues de foin ou de troncs d’arbres, ou le cri des oiseaux passant de haies en haies ou nichant dans la grange voisine. S’installer dès après le petit-déjeuner dans un fauteuil du jardin pour une première séance de lecture, la meilleure. En fin de matinée il faudra passer à l’épicerie pour acheter du pain, délicieux tant sa croûte est craquante et sa mie dense, et puis un fromage de chèvre (Pampouille de la Valette ou Feuille du Limousin) fabriqué dans une ferme sise non loin d’ici ainsi que le journal, La Montagne , pour y lire les potins de la région (dans l’édition du 15 juillet je lis qu’à Bonnat l’alambic est installé jusqu’à la fin du mois au lieu et horaires habituels !). L’après-midi, bâton à la main et sac au dos, randonnée par les chemins et petites routes où nul ne circule. Dans les prés clos de haies de houx, les vaches blanches nous regardent passer, le mouvement de mâchoires dédaigneux. Dans le ciel un couple de buses s’élève en larges cercles vers l’azur et quand elles virent de bord, un bref instant le soleil fait luire leur plumage. Le paysage doucement vallonné, baigné de soleil parfois caché par les nuages, prend des couleurs changeantes selon les versants exposés ou non aux rayons de l’astre. Les verts des prés s’échelonnent du noir au pâle et les champs de céréales jouent dans la gamme des jaunes. Les chemins sont bordés de sapins, noisetiers et chênes et si les mûriers ne sont encore que promesses pour le randonneur de septembre, les fraises des bois, timides points rouges dans les fossés nous régalent de leur jus parfumé. Les papillons virevoltent devant nous dans le chemin, citrons, jaunes bien entendu, et vulcains plus sombres. Aux intersections des sentiers, des crucifix métalliques sont autant de points de repère pour le promeneur, dans la forêt de Drouille un entassement de blocs de pierre surmonté d’une croix, fièrement nommé Rocher de Saint Julien. Souvent au détour d’un sentier ou d’une route, un étang ou un modeste ru. C’est l’occasion de faire une pause et de déguster quelques abricots sortis de mon sac ; le silence et la beauté des lieux sont parfois magiques, comment peut-on vivre ailleurs qu’ici ? La proximité permanente de l’eau est un vivier pour les libellules de toutes sortes, de la demoiselle, petit bijou bleu nuit à la grosse aechne verte, qui passent du vol stationnaire au vol de progression en de fulgurantes accélérations. Lors d’une de nos promenades favorites, quand nous passons devant une ferme, un épagneul ou du moins une version bâtarde, sort pour nous accompagner durant quelques kilomètres, courant de droite à gauche devant nos pas, la truffe excitée, nous attendant aux croisements des chemins pour savoir quelle voie nous emprunterons avant de repartir en tête fier comme Artaban. Au retour de nos expéditions après une douche régénératrice, une part de gâteau aux noisettes, spécialité creusoise, et de nouveau le fauteuil dans le jardin avec un bon bouquin. Le soleil décline lentement derrière les arbres du voisin au fond du jardin, des merles chantent dans le cerisier et le couple de rouges-queues qui niche dans la grange voisine s’active dans la recherche de son repas du soir. Je ferme les yeux et libère un soupir de bonheur.