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07/06/2008

Histoire d'amour

- Cathy! Reste... je t'aime!

- Laisse-moi, ça suffit... adieu !

La porte claque, Cathy dévale l'escalier, engoncée dans son blouson enfilé à la hâte sur un gros pull en laine. Arrivée sur le trottoir, elle fouille fébrilement dans son sac à la recherche de ses clés de voiture. Vite, elle s'installe au volant et démarre. La petite R5 bleue disparaît dans une ruelle adjacente. De ma fenêtre, je la regarde s'éloigner. Je reste là, comme un con, avec une boule dans la gorge. J'ai envie de hurler, aucun mot ne sort, je voudrais pleurer, aucune larme ne vient. J'ai mal dans tout mon corps qui semble contracté, nerfs et muscles en boule, comme une crampe généralisée. Cette fois c'est bien fini, elle est partie. Aucun espoir de retour. Je la connais trop bien, elle est si fière qu'elle ne fera pas marche arrière. Autrefois quand nous discutions, ça y est je parle déjà d'elle au passé, même quand elle avait tort, elle préférait s'enferrer dans ses contradictions plutôt que d'avouer son erreur. Une têtue de première ! Ca faisait plusieurs semaines que ça n'allait plus aussi bien, on s'accrochait pour un rien ou un mot de travers. De toutes petites disputes, trois fois rien bien sûr, mais enfin, ça n'était plus la sérénité des premières semaines. Je savais que notre histoire ne durerait pas toute la vie, mais chaque journée écoulée, chaque mois passé, c'était toujours cela de pris. Pourquoi penser au futur ? L'amour est une chose si fragile, qu'il faut le vivre au jour le jour, intensément, comme si chaque heure était un sursis inespéré. Comme si demain ne devait pas succéder à aujourd’hui ?

- Cathy, je t'aime !

Je suis là, près de la fenêtre, debout mais sonné, knock-out pour le compte. L'air me manque, ma respiration s'accélère, mon cœur bat la chamade. Où a-t-elle pu aller ? Chez une copine certainement. Heu... voyons, Françoise n'est pas à Paris en ce moment, ses autres amies sont maquées, ça ne va pas. Il faut une célibataire... Annie ! Bien sûr ! Elle se trouve chez Annie ! Je vais l'appeler.

- Allô ! Annie ? Tu peux me passer Cathy....

- Mais qu'est-ce qu'il se passe ? Elle n'est pas ici !

- Allez ! Je suis certain qu'elle est près de toi. Laisse moi lui parler.

- Hé ! Calme-toi ! Je te dis qu'elle n'est pas ici, alors n'insiste pas. Si je la vois, je lui dirais de t'appeler, c'est tout ce que je peux faire pour toi. Au revoir.

Elle raccroche. Le combiné qui me reste dans les mains égrène ses bip-bip désespérés. Je suis certain qu'elle me baratine, mais qu'est-ce que je peux faire ? Je rappellerai plus tard. J'allume une cigarette et je m'écroule dans le canapé du salon. Bien qu'elle soit partie, sa présence hante encore l'appartement, son parfum flotte dans l'atmosphère, même les objets en sont imprégnés. Comment pourrais-je ne pas penser à elle ? Je la revois installée dans ce même canapé, elle ne s'y asseyait pas, elle s'y lovait. Les jambes repliées sous elle, elle me rappelait la petite sirène de Copenhague. Nous pouvions rester comme ça des heures, à discuter de choses et d'autres. En fait, c'est surtout elle qui parlait. Je l'écoutais, émerveillé. Elle enchaînait les sujets de conversation avec une facilité qui me déconcertait. Tout ce qu'elle disait m'intéressait, le moindre truc qui m'aurait fait chier dit par un autre, semblait digne d'intérêt quand c'était elle qui l'exprimait. Et je restais là, anéanti par sa volubilité, à la dévorer des yeux. Son discours plein de foi et de candeur reflétait sa jeunesse et m'émouvait. Ses gestes les plus simples m'émerveillaient. La façon dont elle passait sa main dans ses cheveux pour ramener une mèche en arrière, avait pour moi une valeur érotique presque insoutenable. Pour elle, c'était un tic, un geste sans connotation particulière, pour moi il était plein d'une symbolique émotionnelle évidente. Il y avait entre nous des vibrations extraordinaires qui me remplissaient d'une force inouïe. Pour elle, j'aurai déplacé des montagnes, combattu des dragons. Sympa, elle ne me le demandait pas. Cathy... Cathy...

Ma cigarette s'est consumée toute seule au fond du cendrier et le mégot de ma Camel a rejoint les filtres de ses Peter Stuyvesant. Je ne la reverrai pas allumer ses clopes. Cette manière particulière qu'elle avait de pencher la tête de côté, en tenant son briquet à deux mains, la cigarette au coin de la bouche. Elle me faisait penser à ces petits vieux qu'on voit dans les troquets, au zinc, devant un ballon de rouge. Je la charriais là-dessus et elle râlait. Quel con j'étais !

La nuit est tombée maintenant, je me lève et jette un oeil par la fenêtre. Je ne vois pas sa petite voiture bleue. Et si j'appelais Annie, elle a peut-être de ses nouvelles ? Je vais passer pour un connard qui ne sait pas négocier la fin d'une liaison, qui cherche désespérément à s'accrocher. Et alors ? Quand on aime comme un fou, on ne peut pas accepter une rupture aussi facilement. Ce serait renier tout ce qu'on a pu dire ou penser avant. Celui qui est plaqué aime encore, lui ! Accepter la chose, c'est reconnaître que la situation n'est pas si dramatique, qu'après tout ce n'est pas aussi grave et que l'amour qu'on avait pour l'autre s'écrivait avec un "a" minuscule. Je refuse de jouer ce jeu du mec cool et compréhensif qui le prend à la légère. Une de perdue, dix de retrouvées ! Etc... Etc... Conneries tout cela. Je m'en fous des autres ! C'est celle-ci qui me plaisait, pas sa copine ou sa sœur ou sa voisine, juste celle-ci ! Et si je veux chialer, ce n’est pas parce que je suis un homme que je vais me retenir. Alors vos belles paroles de consolation, vous pouvez vous les garder. Rien à cirer. J'ai mal et je le gueule.

Cathy revient !

Il est presque minuit, allongé sur la moquette dans l'obscurité, je fume ma dernière Camel et je la fais durer. La sonnerie du téléphone m'arrache à ma torpeur et je me rue sur l'appareil, renversant le cendrier au passage.

- Oui, allô !

- C’est moi... c'est Cathy.....