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07/06/2013

J’ai retrouvé l’homme invisible

Il faut dire que j’étais sur le coup depuis bien longtemps, intrigué par des pistes que je subodorais. Une allusion dans un article d’un magazine spécialisé dans le cinéma, un bouquin obscur dont la lecture entre les lignes laissait la porte ouverte à des hypothèses, une interview d’un machiniste complètement inconnu où les non-dits criaient une vérité cachée. Les indices s’accumulaient mais je n’avançais pas.

Jusqu’à ce que la chance me sourit, enfin. Je ne peux vous en dire plus, j’ai promis de taire ma source. Il en va de mon honneur. Comme souvent, les trésors les plus précieux ne sont jamais aussi loin qu’on le croît, j’en ai fait l’expérience une nouvelle fois.

J’avais entendu parler d’une maison de retraite pour les héros des séries télévisées de mon enfance et évidemment, je l’imaginais au cœur de l’Amérique, peut-être en Arizona. Un endroit chaud mais loin du tourisme de masse pour éviter la curiosité malsaine des tours operators. Or, pas du tout. Ce lieu existe bel et bien, mais il est à quelques centaines de mètres de chez moi ! J’étais passé devant un nombre incalculable de fois, sans jamais deviner le lourd secret caché derrière ces murs.

La maison ne paye pas de mine et savoir que d’anciennes vedettes de Hollywood y terminent leurs vieux jours me laisse pantois. Pourtant il n’y a pas de doutes à avoir. Dans le grand hall d’entrée, Rintintin empaillé vous accueille avec sa bonne gueule de brave toutou, tandis que plus loin, Flipper le dauphin, dans une baignoire de formol, reste souriant pour l’éternité. J’imagine qu’aucun parent proche n’a émis la moindre objection pour que la direction de l’établissement les expose ainsi.

Dans la grande salle de télévision, sur un écran géant passent en boucle, des épisodes des séries dont les résidents sont les héros fatigués. J’avoue avoir eu du mal à reconnaître ceux qui, avachis dans de larges fauteuils, se contemplaient une fois encore, souriant à leur jeunesse et à leurs exploits fictifs passés. Tandis que mon guide me conduit vers l’arrière de la maison, nous longeons des couloirs silencieux comme des tombes en devenir dont seules les portes fermées attirent le regard, puisqu’on peut lire sur des plaques métalliques gravées, le nom de leurs occupants, Des agents très spéciaux qui vivent désormais en couple, Ma sorcière bien aimée veuve depuis peu, les appartements de Chapeau melon et ceux de Bottes de cuir seraient communiquant, me dit-on, alors que sur une autre porte dont le numéro a été arraché, une main tremblante et rageuse à inscrit « Je ne suis pas le numéro 6 ! »

Nous arrivons enfin dans le jardin où m’attend celui avec qui j’ai rendez-vous. Profitant des premiers rayons de soleil de l’année, l’Homme invisible réchauffe ses vieux os. Il n’est pas seul, avec sa femme, dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour, il coule des jours tranquilles dans la grande banlieue parisienne. Notre entretien ne s’est pas éternisé, fatigué d’avoir passé sa vie à fuir les journalistes et les curieux, sachant sa fin proche, il n’a pas tenu à revenir sur ses années de gloire et sur son personnage qui a fait et continue de faire rêver des générations entières.

Comme il me l’a fait remarquer avec à propos, l’invisibilité l’a propulsé à la vue de tous et lui a pourri sa vie. Quel paradoxe.

Transparent jusqu’au bout, l’Homme invisible.

 

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