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09/10/2013

Soir bleu

L’invitation précisait, “en costume”. Si dans un premier temps, l’envie de jeter à la poubelle le carton d’invitation avait été forte, il s’était dit ensuite que ce serait une bonne idée qui pourrait le sortir de ses pensées noires perpétuelles.

Depuis la mort de Gaspard, sa vie semblait s’être arrêtée. Le temps s’écoulait, tout, autour de lui continuait comme par avant mais il ressentait la douloureuse sensation d’être figé pour l’éternité au centre d’une agitation lui devenant complètement étrangère. C’est qu’il l’avait tant aimé son Gaspard, tellement mignon dans sa petite roue, à progresser sans fin échelon après échelon, inconscient de l’inutilité de son effort. Il avançait tout en restant sur place. Un peu comme lui désormais. Ah, Gaspard, mon cochon d’Inde adoré.   

Dans un sursaut de conscience, il résolut de se rendre à cette soirée qui serait il en était sûr maintenant, le point de départ d'une nouvelle existence. Il le fallait, la vie réclamait cet effort. D’abord, effacer toutes les traces du cochon d’Inde dans la maison, sa cage avec la roue emblématique, le reste de nourriture dans son sac, tout devait partir à la poubelle. Pour les jours de nostalgie, il lui resterait ses souvenirs et les photos, Gaspard lâché en liberté dans le jardin, Gaspard qui chie sur le canapé, tous ces bons moments ne seraient jamais oubliés.

Ensuite, il lui fallait dénicher un costume. Dans une boutique spécialisée, il hésita longtemps sur la tenue adéquate, Mandrake le magicien pourquoi pas, le docteur Fu Manchu n’était pas mal non plus, Superman trop classique et le slip par-dessus le collant vraiment ridicule. Un vendeur vint à son aide et après quelques essais et tergiversations, il se décida pour un habit de clown blanc se mariant admirablement avec sa morphologie.

Tous ces préparatifs, les essais de maquillage et de costumes, l’avaient requinqué éloignant de son esprit ses pensées moroses. Le jour J et à l’heure H, parfaitement grimé en ce soir bleu, et muni de son précieux carton, il se rendit en taxi jusqu’au lieu des festivités. Il ne prit pas ombrage des premiers regards posés sur lui, s’imaginant des jalousies envieuses, par contre il s’étonna du manque d’imagination des autres invités. Tous ou presque s’étaient fait des têtes d’hommes du monde ou de grandes dames, d’autres plus ambitieux avaient enfilé des uniformes d’officier, un ou deux ressemblaient vaguement à des artistes peintres célèbres.

C’est alors qu’il réalisa son erreur, en costume ne signifiait pas costumé et l’humiliation fut à son comble quand Suzanne, sa douce Suzanne qui l’avait quitté lui reprochant la trop grande place prise par le cochon d’Inde dans sa vie, passa hautaine dans son dos en lui jetant un regard de mépris. A cet instant, il aurait tout donné pour être chez lui avec Gaspard. Gaspard pédalant dans sa roue, lui ruminant ses pensées, tous deux avançant vers nulle part.    

 

cochon d'inde, hopper,  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Edward Hopper Soir bleu – Huile sur toile 91,4 x 182,9 cm – Whitney Museum of American Art New York

07:00 Publié dans Nouvelles | Tags : cochon d'inde, hopper | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |