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04/08/2011

La marchande de quatre saisons

Quand j’étais petit - je n’étais pas grand, mais ça ne change rien à mon propos – quand nous allions faire les courses pour le repas avec maman, les supermarchés bredouillaient encore et les petits commerçants grouillaient comme pucerons sur les rosiers. Je vous parle du Paris des années 50 comme vous l’aviez deviné si vous me lisez depuis un certain temps.

Question commerçants nous étions gâtés puisqu’il suffisait de sortir de notre immeuble de la rue Richer par la droite et de parcourir quelques dizaines de mètres pour nous retrouver à l’entrée de la rue Cadet et son fameux marché. Toute la rue ou presque regorgeait de boutiques d’alimentation aux vitrines et étals débordant de mangeailles de toutes sortes, du moins tels en sont mes souvenirs d’enfant. Celle qui m’attirait le plus c’était la boucherie, pas la boucherie chevaline - il en existait encore à cette époque – mais la traditionnelle, boucherie volailler, car à l’automne quand la chasse ouvrait, les lièvres et les perdreaux s’étalaient sans pudeur à poils ou à plumes, pendus par les pattes ou couchés de tout leur long à portée de main de qui eût voulu les caresser. Mieux encore, parfois un sanglier pesant, pendu par les pattes arrières, attendait l’œil mort, je ne sais qui, car cuisiner une telle bestiole dans un appartement parisien riquiqui doit nécessiter des talents particuliers.

Les charcutiers n’étaient pas mal non plus, les rouleaux de boudin comme tuyaux d’arrosage chez le quincaillier, les jambons pendus, les saucissons et mortadelles avaient belle allure, les boulangeries vendaient des baguettes qui se conservaient plusieurs jours, certainement une recette qui s’est perdue après la mort des patrons. Il y avait aussi un BOF (beurre-œufs-fromages) au minimum.

Le marchand de couleurs ou le droguiste qui vendait des balais brosse dans un capharnaüm indescriptible et odorant, la mercière et sa farandole multicolore de pelotes de laines, l’épicier bien sûr, tous avaient pignon sur rue mais les rois du caniveau, c’étaient les marchands de quatre saisons qui s’alignaient les uns à côté des autres le long du trottoir.

S’ils avaient disparu durant la guerre, ils réapparurent comme primevères au printemps vers 1948. Les marchands qui souvent étaient des marchandes, s’étaient de nouveau installés dans les rues avec leurs charrettes à bras, proposant fruits et légumes achetés aux Halles au petit matin. Il s’agit des Halles d’autrefois, avec les pavillons Baltard, avant qu’on en fasse une fosse monstrueuse où les héros errent en quête du RER quand ils rentrent du boulot. Un large tablier ceignait leur taille, avec une vaste poche comme chez les kangourous, pour y réchauffer les mains et y enfouir tout un fourbi dont elle avait l’usage. Les prix des marchandises étaient inscrits sur des ardoises plantées dans la matière première, des prix en francs bien évidemment et peut-être même en anciens francs ! Une balance à plateaux avec ses gros poids pesait les quantités vendues.

Quand la matinée arrivait à sa fin et que les ménagères depuis longtemps s’en étaient retournées préparer en hâte le frichti du midi pour l’homme et la marmaille, la marchande pliait bagages, recouvrant sa carriole d’une toile et prenant la place qu’une bête aurait du tenir, elle s’éloignait tirant son commerce à la force de ses bras. Demain serait un autre jour.       

 

La marchande de quatre saisons, années 50, souvenirs,