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16/11/2010

Des ombres dans la ville (1)

Il est assis, les jambes en tailleur, entre l’entrée du Carrefour Market et le magasin Bricolex. Goguenard, une boite de bière à la main, il regarde les passants en sifflotant, un gobelet en carton devant lui attend une aumône assez pauvre. Les gens entrent et sortent des magasins, ils passent poussant leur caddie vers la voiture garée plus loin, ils trottent lestés d’un sac ou d’un panier devenu trop lourd, aucun n’a un regard vers la sentinelle souriante, planton habituel planté dans le décor. Parfois il hèle un fumeur pour le taxer d’une cigarette, toujours il rumine ou radote des lambeaux de phrases ou de mots à notre encontre mais que nul n’écoute hâtant le pas pour ne pas être la cible de son attention.    

Les matins dans le parc Jean Vitold, toujours près du même banc, il est là et on le sait avant de le voir car on l’entend de loin. Son vélo est posé contre le banc, lui debout, il vocifère de longues tirades comme un acteur qui répèterait son texte. Il a la trentaine, trapu il semble en bonne forme physique, une barbe courte lui mange le visage, il s’agite, remue des bras et fait son show. De l’avenue qui borde le parc on peut l’apercevoir, habitués les gens qui passent n’y font guère attention, éventuellement si emporté dans ses déclamations il hausse un peu trop le ton, le passant lui jettera un coup d’œil furtif et légèrement inquiet.

La première fois que je l’ai vu, c’était un dimanche matin il y a deux ou trois ans, je crois. De loin, j’avais pensé qu’il s’agissait d’un baladin amateur répétant une pièce au grand air, libre de gueuler son texte sans ennuyer ses voisins d’immeuble, j’avais trouvé cette prévenance très délicate. Tous les dimanches il était là avais-je noté avec étonnement d’abord, amusement ensuite.

Mais maintenant que j’ai plus de temps libre ça me laisse la possibilité de m’attarder et d’observer plus à mon aise. Quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai réalisé que le Démosthène, tribun du Parc Jean Vitold ne faisait qu’un avec mon Diogène quêteur goguenard du centre commercial ! J’ai donc reconstruit une partie de son emploi du temps, le matin de bonne heure il s’exprime librement devant une absence d’auditoire dans le parc puis, en fin de matinée et jusqu’à la fin de la journée il tend sa sébile au milieu des chalands du centre. Son après m’est encore inconnu mais l’enquête suit son cours.