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25/12/2010

Un conte de Noël d’aujourd’hui

Après sa rude journée le Père Noël rentre chez lui, fourbu et las de ce boulot bien mièvre, pour ainsi dire ridicule. Au chômage depuis de si long mois maintenant et vu son âge il n’espère plus de miracle, c’est pourquoi il a accepté ce job saisonnier pour le compte d’un grand magasin du boulevard Haussmann à Paris. Le boulot est simple et rétribué en conséquence mais il ne peut vraiment pas faire son difficile. Déguisé en Père Noël, le costume et les postiches (barbe et cheveux blancs) sont fournis par l’employeur, il doit déambuler sur le trottoir devant le magasin pendant les trois semaines précédant Noël. C’est tout.

En gros c’est ça sa mission, mais il faut avoir un regard ou une attitude aimable envers les passants, un mot gentil pour les petits enfants accompagnés de leurs parents futurs clients potentiels de l’enseigne. L’idée étant d’inciter les gamins à pousser leurs géniteurs à entrer dans ce temple de la consommation, après c’était l’affaire des gens du marketing et de tous ces gros malins sensés vous guider vers les rayons puis et surtout, vers les panneaux « caisses » bien visibles où que vous soyez. Ironie de la situation, il était un maillon de la chaîne consumériste et c’est avec plaisir qu’il aurait voulu lui aussi dépenser son argent en achats de cadeaux pour la fête qui approchait pourtant ses maigres ressources l’avaient déjà depuis longtemps prévenu qu’il n’y aurait pas droit.

Pour le client occasionnel du grand magasin qui occupe quasiment tout le quartier, les trottoirs semblent interminables. Notre Père Noël, après quelques jours à peine, trouvait son territoire plutôt étroit à l’arpenter du matin au soir. Pire encore, la direction qui voit toujours les choses en grand, avait embauché deux Pères Noël pour être certaine de ratisser le moindre chaland. Evidemment les deux personnages n’étaient pas sensés se croiser afin d’éviter de laisser « libre » une portion du terrain, l’exigence économique prévalant sur le simple anachronisme de voir deux Pères Noël côte à côte. Notre Père Noël qui lui s’en tenait à cet aspect qu’il désirait logique faisait donc l’effort de rebrousser chemin s’il apercevait son compère au loin dans la foule. Imaginer un gamin face à deux barbus en houppelande rouge, cela le révoltait. D’un côté on raconte aux enfants que le Père Noël est unique et là, il y en avait deux. Si dès le plus jeune âge on raconte des salades aux enfants il ne faut plus s’étonner s’ils ne croient plus en rien trop tôt, pensait-il. Raisonnement d’un autre âge car il y a bien longtemps que les enfants, même les plus petits, ne croient plus au Père Noël, chacun joue son rôle, les parents débitent leur conte aux mômes qui n’en ont cure du moment que les cadeaux sont au rendez-vous le jour J. Ainsi va le monde, reposant sur des statu quo tacites. Comme on le voit notre PN – ainsi le nommerai-je désormais pour économiser mon stock de lettres et l’usure du clavier de mon ordinateur – n’avait pas vraiment la patate.

Ainsi passaient les jours nous rapprochant du 25 décembre. La météo peu clémente de cette fin d’année sapait le moral du PN tout comme elle faisait souffrir son déguisement. La pluie et la neige avaient achevé son unique paire de chaussures et il en avait contracté un rhume carabiné qui lui embrumait le regard tout en lui obturant le pif. Conséquences collatérales, sa barbe fleurie de morves effrayait les petits enfants et sa houppelande fripée autant que salie détournait les parents quand il s’en approchait de trop près. Quand il apercevait son reflet dans les vitrines du magasin, le PN constatait qu’il ressemblerait bientôt à un Boudu qu’on n’aurait pas sauvé des eaux.

C’est peut-être à cause de sa dégaine de PN boueux que Ginette a osé l’aborder. Ginette fait partie du paysage depuis bien plus longtemps que notre PN, lui est un saisonnier, elle habite la rue de Provence. Habiter n’est certainement pas le terme exact, disons qu’elle occupe la nuit un porche tout proche tandis que dans la journée elle fait consciencieusement la manche devant l’ Eglise Saint-Louis d’Antin. Ses sacs en plastique bourrés jusqu’à la gueule d’on ne sait quels trésors, les souvenirs d’une vie, elle est bien connue des gens du quartier, même notre PN l’avait remarquée un soir qu’il quittait son boulot. La nuit était tombée sans bruit comme souvent, les éclairages de fête illuminaient d’or et de rouge les vitrines et la chaussée humide quand il l’avait aperçue, culotte baissée dans le caniveau entre deux voitures, ses sacs rangés à ses côtés comme de gros canetons près de leur mère. Il avait failli en rire, mais il avait ravalé cette idée aussi sec en pensant à son sort qui le pousserait peut-être bientôt à ces extrémités. Aussi quand il lui arrivait de l’apercevoir, il détournait les yeux pour faire taire la souffrance qui montait en lui.  

Le 24 décembre arriva plus vite encore qu’il ne l’aurait pensé, notre histoire elle aussi dieu merci, va bientôt toucher à sa fin. Son contrat de travail venait d’expirer, sa paye empochée et ses hardes rendues, notre PN qui désormais redevenais Roger se dirigeait vers la gare Saint-Lazare toute proche afin de retrouver sa banlieue grise, quand une voix éraillée le héla dans son dos. « Hep ! Hep ! ».

Roger se retourne et aperçoit Ginette qui se hâte à sa suite, traînant maladroitement ses paquets qui l’encombrent. « Hé ! T’es le Père Noël, non ? ». Perplexe et dans l’expectative, Roger attend la suite, un peu gêné d’être la cible de cette apostrophe. « J’ai un cadeau pour toi ! Ah ! Ah ! Ah ! C’est moi qui fais un cadeau au Père Noël, on aura tout vu de nos jours ! » Extirpant de l’un de ses cabas une boite en carton, elle la tend au Roger qui ne sait trop que faire. « Allez, prend, te gêne pas, quoi ! » Timidement Roger s’empare du cadeau et l’ouvre. Une paire de Nike toutes neuves, pile poil à sa taille. « J’te zieute depuis plusieurs jours, j’ai ben vu que t’avais des godasses pourries. Je les ai « trouvées » devant le magasin de sport, là-bas indique-t-elle d’un mouvement de menton, ce matin quand le camion de livraison est passé. Si c’est ta taille, elles sont à toi ». Roger ne sait que dire ou faire, la situation est trop imprévue. 

Je sens que votre intérêt pour cette histoire baisse, tenez bon nous y sommes presque. J’abrège pour vous être aimable. Aussi improbable que ce soit, Ginette et Roger après cette mise en contact en grandes pompes se sont mis à la colle. Une histoire de ouf comme aime à le répéter Roger quand il trouve une oreille complaisante pour écouter son histoire. « Un conte de Noël » minaude Ginette quand elle n’est pas sous l’empire de la boisson.

Tous les contes de Noël ne se terminent pas en happy end, pas de chance pour vous les petits enfants. A Pâques – ou bien à la Trinité ? – Ginette s’est fait écrasée par une camionnette qu’on n’a jamais retrouvée puisqu’on ne l’a pas recherchée non plus. D’après les témoins, Ginette était accroupie dans le caniveau quand le chauffeur qui tournait dans le quartier depuis une plombe a aperçu une place enfin libre pour se garer. Vous imaginez la suite. Contrarié, le conducteur est reparti aussi vite qu’il était arrivé pour se garer ailleurs.       

Depuis, tous les ans Roger continue à faire le Père Noël sur le boulevard Haussmann, en souvenir de Ginette. Enfants, si vous croisez Papa Noël quand vous allez aux Grands Magasins, ayez une pensée émue pour le barbu avant de lui filer un coup de latte dans les chevilles parce qu’il vous cache les vitrines.