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27/09/2008

Le petit coin

Paul cherchait un appartement depuis longtemps déjà. Trop longtemps même. Aussi, quand le type de l’agence lui proposa un deux pièces mais dans un immeuble ancien, Paul était presque prêt à signer sans visiter l’endroit.

Le logement perchait au dernier étage, le sixième, d’une vieille bâtisse dans le centre de Paris. L’appartement était confortable, spacieux et clair ; Paul était enchanté surtout que le loyer n’était pas exorbitant.

-     Le seul petit inconvénient, c’est pour les toilettes.

-          Ah ! Oui ? Au fait, où sont les WC ? J’ai vu la salle de bain mais pas les toilettes.

-          C’est sur le palier.

-          Ah ! ?

-          Mais enfin, un si bel appartement pour un si petit loyer, à ce prix là vous ne trouverez pas mieux.

Il fallait prendre une décision rapidement, il n’était pas seul sur l’affaire mais il avait la priorité. Vite il réfléchissait, pesant le pour et le contre. Après tout, on ne passait pas sa vie aux chiottes, oui mais quand on est malade…. Oh ! Ca suffit !

            D’accord je signe !

Paul avait signé le bail et le chèque, on lui avait remis les clés, il pouvait emménager dès qu’il le voulait. Les peintures et les papiers peints étaient en bon état, pour l’instant ça ferait l’affaire. Une semaine plus tard il était installé dans son nouveau logis.

 

            La première fois qu’il y alla, ce fut pour visiter. En sortant de chez lui, c’était à droite au bout du couloir, une quinzaine de mètres tout au plus. Une porte en bois que l’on poussait, un loquet permettant de s’isoler et une minuterie pour la lumière, donc son temps serait compté se dit-il. L’endroit, vaste pour des WC proposait des cabinets à la Turc en émail blanc et les murs peints en gris étaient pisseux ce qui était la moindre des choses vu les lieux. 

            Sur l’un des murs latéraux une petite étagère et en dessous, un crochet métallique d’où pendaient des feuilles de papier journal, coupées en morceaux réguliers, par un esthète de l’étage peut-être ? Au plafond, une sorte de petit vasistas actionné par une tige de ferraille permettait d’aérer.

            Paul en était là de ses investigations quand il entendit des pas dans le couloir. Il se dépêcha de sortir, pas assez vite néanmoins car il se retrouva nez à nez avec un vieux monsieur qui s’engouffra dans les lieux en maugréant « Pff ! Ça ne tire même pas sa châsse ! ». Paul allait répondre, mais que dire ? « Je ne faisais que visiter ! ». N’importe quoi ! En tout cas il était repéré, dès le premier jour ! Derrière la porte c’était l’avalanche. Paul rentra chez lui.

            Dans l’après-midi il retourna aux toilettes pour uriner. Quand il tira la chaîne, des masses d’eau envahirent la cuvette et débordèrent sur ses chaussures. A l’avenir il faudrait faire gaffe et se reculer bien vite une fois actionné le système d’évacuation des eaux. En sortant, personne dans le couloir qu’il devait parcourir dans sa totalité pour réintégrer son logement. L’étage était constitué de ce long couloir, à un bout les toilettes et à l’autre l’escalier. Six logements répartis équitablement, trois à droite et trois à gauche du corridor. Paul habitait le premier à droite en venant de l’escalier.

            Pour Paul il s’agissait d’une véritable expérience que ces chiottes en commun. Jusqu’à aujourd’hui il n’avait connu que des cabinets privés, que ce soit chez ses parents ou bien dans les différents appartements ou même studios qu’il avait habités depuis qu’il était indépendant.

            De ses erreurs des premiers jours il en avait déduit quelques règles élémentaires. D’abord, pour pouvoir pisser (ou autre) tranquille, éviter les heures de pointe. C’était le plan « Pissons futé ». La plus mauvaise heure de la journée, c’était le soir, après le film de la télévision. Dès le générique de fin, les portes commençaient à claquer, la foule se pressait dans le couloir. Les plus chiants, si j’ose dire, étaient ses voisins d’en face qui vivaient à quatre dans un petit gourbi et qui partaient ensemble aux gogues. Pendant que l’un officiait, les trois autres attendaient devant la porte. Puis tout ce beau monde allait se coucher. Un des premiers soirs, ignorant tous ces petits rituels, Paul était sorti pour déposer son obole dans le vase adéquat. Juste comme il ouvrait sa porte, la bande des quatre en faisait autant et ce fut un sprint à cinq dans le couloir étroit. Arrivé premier, Paul ne s’éternisa pas, d’autant que ça piétinait d’impatience derrière la porte.

            L’autre mauvaise heure, c’était le matin entre sept et huit, avant de partir travailler. Mais là, pas de problème pour lui, car il se levait à six heures ! Ca c’étaient les règles générales, car bien entendu il y avait les imprévus. Un après-midi qu’il ne travaillait pas, alors qu’il était en posture depuis un petit moment, tranquille sur son trou comme Noé sur son Arche, les pieds bien à plat, le dos courbé juste ce qu’il faut pour assurer son équilibre, tout schuss en somme, une cavalcade dans le corridor, on se rue sur la poignée de la porte, on force !

-          M’man ! Y a quelqu’un ! pipi !

-          Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?

Le gamin s’accrochait à la poignée en gémissant. Sa mère s’approcha.

-          Toc ! toc ! Excusez-moi, c’est pour le petit …

-          Pipi ! pipi ! maman !

Paul ne bronchait pas, ne sachant s’il devait se retenir ou au contraire essayer d’accélérer le processus. La situation devenait gênante.

-          Toc ! toc ! Mais il n’y a personne ?

On n’allait pas entamer une discussion dans cette position, Paul renifla négligemment pour signaler sa présence. Le gamin continuait de pleurnicher, derrière la porte le dénouement approchait.

-          Ca y est maman ! J’entends le papier, ça s’essuie la –dedans !

Paul tira la châsse et sortit en trombe.

-          Vous m’excuserez monsieur, mais c’était le petit…

-          Mmmm…

Paul rentra chez lui, un reste de papier cul en boule dans sa poche. Tiens ! Le PQ, ne jamais l’oublier chez soi ! Remarquez on peut l’oublier une fois, mais pas deux ! Le jour où c était arrivé à Paul il avait dû ruser pendant une demi-heure pour pouvoir enfin accéder aux goguenots. Parvenu aux cabinets, il s’installe à la hâte, commence (schlofff !) Et soudain il réalise qu’il a oublié son paquet de Trèfle ouaté trois épaisseurs. Aucune feuille de journal ne pend au crochet. Angoisse. Stupeur et tremblements. Obligé de se finir chez lui après être rentré à petits pas comptés.

 

            Maintenant Paul connaît les habitudes de tous ses voisins. En face, la bande des quatre, puis les deux vieux qui ont du mal à marcher. Une fois sur place ils  profitent de l’arrêt pour se reposer avant de regagner leurs pénates. Ce sont eux qui approvisionnent le crochet en papier journal. Le dernier logement de ce côté du couloir est occupé par une jeune femme avec un petit garçon, celui qui attend la dernière minute pour aller pisser. En sens inverse quand on revient des toilettes vers chez Paul, le premier appartement est habité par un célibataire qui a pour habitude de lire le journal ou des revues dans les water-closets et il prend son temps le bougre. Quant au voisin immédiat de Paul, c’est l’étudiant, que Paul nomme « le siffleur ». Toute la journée il siffle à tue-tête et quand il va aux latrines il pisse comme une vache en sifflant à tout berzingue. L’avantage avec lui c’est qu’il n’y a pas à se déplacer pour savoir que le petit coin est occupé.

           

Paul s’était donc habitué à ce rythme de vie quand les premiers graffitis firent leur apparition. C’était en fin de journée, il venait tout juste de rentrer du travail, quand une envie taraudante le poussa vers l’endroit. Soulagé il allait ressortir quand son regard fut accroché par une phrase écrite à la craie sur le mur « C’est crado ici ». Des graffitis sur un mur de chiottes c’est assez courant, pourtant là, quasiment chez lui, c’étaient les premiers et ils étaient déplacés.

L’inscription resta telle quelle pendant trois jours. Le quatrième on rajouta de la même écriture, « Et ça pue ». Ce qui au départ passait pour une manifestation passagère prenait de l’ampleur. Paul s’en amusa. Voilà quelque chose d’assez intrigant pour m’occuper l’esprit pendant mes haltes forcées  dans cet endroit, pensa-t-il. Qui pouvait écrire cela ? La bande des quatre, peu probable, avec leur manie d’aller pisser en délégation, ça ne collait pas. Les deux petits vieux, allons, allons, certainement pas. La jeune femme avec le bambin ? Non, pas une femme. Restaient l’étudiant et le célibataire. Voici des coupables plus plausibles.

Désormais il allait aux toilettes avec plaisir, quel serait le prochain message ? Rien pendant une semaine. Paul décida de contre-attaquer. Il acheta une boite de craies de couleurs et à son tour il inscrivit, en bleu, une réponse aux avis écrits en blanc, « C’est vrai ! ». La réponse ne se fit pas attendre, dès le lendemain, on pouvait lire « Enfin ! ». Par un accord tacite, une correspondance venait de débuter entre deux écrivains anonymes.

Après avoir critiqué l’état des lieux en termes châtiés, les réflexions abordèrent un thème plus général, « Demain le printemps », « Le soleil entre par le vasistas ». Puis vint le jour où les questions personnelles firent leur entrée, « Aimez-vous la mer ? ». Paul se prêta de bonne grâce à la tournure des évènements.

Au début les inscriptions s’étalaient en grand sur les murs, mais maintenant les écrivains devaient réduire les proportions de leur prose sinon les murs des WC n’y suffiraient plus. Cette relation par écrits muraux dura plusieurs mois, jusqu’au jour où Paul déménagea de nouveau. Il avait déniché un appartement plus grand avec toutes les commodités à l’intérieur cette fois.

Les déménageurs faisaient la navette entre le deux pièces et le camion, une caisse sur l’épaule. Paul leur prêtait la main. Comme il descendait l’escalier avec un des derniers cartons dans les bras, il croisa la jeune femme et son gamin.

-          Bonjour !

-          Bonjour ! Vous déménagez ?

-          Oui, ce soir je ne serai plus là. Je descends ce dernier paquet.

-          Ah ! … Bon, hé ! bien, adieu…

-          Merci.

-          Oh ? Vous avez des traces de craie bleue sur votre pull-over.

-          Quand on déménage, il est rare qu’on ne se tâche pas.

 

La jeune femme s’éloigna, l’air songeur, essuyant discrètement les traces de poudre blanche maculant le bout de ses doigts.

16:16 Publié dans Nouvelles | Tags : le petit coin, les wc, le pq | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |