10/01/2010
O Sol Mio
Après-midi cocooning, installés dans le canapé avec ma douce, nous lisons avec Radio Classique en fond sonore. Il fait froid dehors, le ciel bas est gris signe de neige proche, « nous sommes bien » pour reprendre le slogan de cette antenne musicale.
Eve Ruggieri vient de lancer O Sol Mio le célèbre classique Napolitain et ma femme dresse l'oreille, non comme un setter, mais comme interpellée par cet air. « Ca me rappelle mon oncle Louis qui la braillait au volant de sa 2CV ! » me dit-elle en souriant avec mélancolie. Je n'ai pas connu son oncle Louis, mais j'en sais un autre qui la beuglait tant et plus, mon grand-père.
Un dimanche de printemps, beau et déjà chaud, dans la cour de notre immeuble rue Richer à Paris, le repas se prépare en cuisine, la semaine de boulot laisse une parenthèse de détente, les mains dans les poches de son pantalon, le petit bonhomme se lâche. Quelques raclements de gorge, notes fredonnées pour se chauffer la voix, signes que le récital va commencer. Tout le répertoire va y passer, pot-pourri d'extraits d'opéras ou d'opérettes, reprises de chanteurs d'une autre époque tels les Dassary, Compagnons de la chanson, Edith Piaf et autres.
Les airs s'enchaînent les uns après les autres, l'artiste ne se sent plus, le visage cramoisi et la gorge tendue comme une peau de tambour, mon grand-père tutoie une gloire rêvée. Bientôt les vocalises tendent à faire durer la note jusqu'à la limite de l'asphyxie ce qui annonce la fin des réjouissances ou du supplice, c'est selon. De son un mètre soixante à tout casser, il me domine moi le gamin ébahi par le spectacle. Il est de bon ton alors de le féliciter pour sa performance, sinon gare. Mais comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, il s'auto-congratule et ne manque pas de nous rappeler que dans sa jeunesse sa voix était recherchée et qu'on l'aurait approché pour une éventuelle carrière - sans que j'ai jamais très bien compris où l'espoir avait achoppé. Vantardise ou malchance ?
Les années passeront, le répertoire se gonflera des œuvres de Mireille Mathieu et Ivan Rebroff. Evoquer Mireille Mathieu c'est la rigolade assurée pour vous autres lecteurs innocents, mais moi j'ai enduré sa discographie chantée par la voix chevrotante de mon parent vieillissant. Aucun repas de famille sans qu'on y coupe, moi qui me réjouis en général d'arriver au dessert, je voyais les assiettes à fromage repartir en cuisine avec angoisse. Evidemment quelque bonne âme ne pouvait faire autrement que de lâcher un « Grand-père, c'est comment la chanson Mon Crédo ? », en ce temps-là on savait respecter les vieux parents. Aussitôt la boite à musique se mettait en branle « Oui je croooois, qu'une vie ça commence avec un mot d'amoooour ... » Lentement ma mère débarrassait la table, les adultes s'installaient dans les canapés pour discuter à vox basse et moi par terre dans mon coin je jouais avec mes petites autos. Dehors il faisait froid, le ciel bas était gris signe de neige proche, nous étions bien finalement.
14:32 Publié dans Echos de ma vie | Tags : mireille mathieu, rebroff, dassary, édith piaf | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |