19/11/2010
Des ombres dans la ville (2)
Je n’avais aucune raison de le remarquer particulièrement, une ombre dans la ville, une silhouette dans la foule sans plus. Jusqu’à ce que. Jusqu’à ce que l’invisible devienne visible, jusqu’à ce que l’anonyme se fasse remarquer.
J’attendais le bus à l’arrêt du centre commercial, que faire quand on attend si ce n’est regarder le paysage alentour, c'est-à-dire les oiseaux qui chantent dans un arbre proche ou les pies qui s’épient puis s’affrontent sur le parking pour un morceau d’emballage appétissant à leurs yeux. Il est apparu dans mon champ visuel marchant d’un pas souple mais franc sur le trottoir d’en face, les mains dans les poches de son blouson de survêtement, anodin. Arrivé devant la porte à l’arrière de la boulangerie il s’est arrêté sans nous jeter un œil, en habitué il a soulevé le couvercle du container qui sert de poubelle et il a fouillé dans les déchets du commerçant. Des gâteaux et des pains jetés car n’étant plus consommables, du moins selon nos normes. Une pâtisserie crémeuse a fait son bonheur sur place et d’une demi baguette prestement remisée dans son blouson il fera un repas plus tard. Ragaillardi certainement, il est reparti comme il était venu sans plus s’occuper de nous qui de notre abribus avions assisté à la scène.
Depuis, j’ai eu maintes occasions de le revoir venir faire son marché dans cette poubelle miraculeuse et désormais sa silhouette m‘est familière. Très mince pour ne pas dire maigrichon, frisé au teint mat avec de grands yeux de fille qui paraissent ne fixer que le sol, il sillonne la ville du matin au soir, d’un pas rapide les fesses serrées, donnant l’impression de se rendre à un rendez-vous précis mais qui n’est qu’illusion. Dès qu’il aperçoit une poubelle, il l’inspecte en quête d’un repas, y trouvant parfois son bonheur.
Il n’est jamais vêtu de la même manière, ma parole sa garde-robe est plus fournie que la mienne et seuls deux indices attirent l’attention sur sa situation, sa fouille frénétique des poubelles et ses chaussures. Il n’a qu’une seule paire de godasses baillant de désespoir et délacées mais pas de chaussettes ce qui nuit gravement à l’esthétisme de son allure générale. Lui aussi fait partie de ces ombres que l’on croise dans la ville avec indifférence, chacun vivant sa vie, tant bien que mal.
07:00 Publié dans Echos de ma ville | Tags : sdf, ombres | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |