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20/07/2011

C’est la faute aux spoutniks

Fin des années cinquante, dans la cour de l’immeuble du 52 rue Richer à Paris, un petit bonhomme haut comme trois pommes à genoux, les deux mains dans les poches et sifflant une rengaine d’André Dassary, scrute le ciel d’un air inquiet. L’azur de ce mois de juillet, à peine maculé du blanc de quelques nuages épars n’est pas du goût de mon grand-père. Après quelques raclements de gorge sonores, la sentence tombe « C’est la faute aux spoutniks ! ».

En octobre 1957 à la surprise générale, ce sont les Russes qui les premiers envoient un satellite dans l’espace, grillant la politesse aux Etats-Unis atterrés devant cet exploit technologique qui représente une menace pour leur territoire en ces temps de guerre froide.

Pour d’autres, nombreux comme mon grand-père, les implications politiques, technologiques et scientifiques qui en découlaient leur passaient bien au-dessus de la tête, en gros à ces hauteurs que l’esprit à du mal à concrétiser et où évoluaient ces fameux satellites dont l’utilité restait à démontrer et là encore, rien n’étant prouvé dans l’immédiat, bien malin qui pouvait en prévoir les conséquences.

Désormais, nous savions qu’un ou plusieurs machins tournaient au-dessus de nos têtes, invisibles à l’œil nu, telles des épées de Damoclès. Comme par ailleurs nous savions depuis des temps lointains qu’on tirait au canon vers les nuages pour faire tomber la pluie, un raccourci rapide autant qu’évident tendait à additionner un plus un et la constatation s’imposait d’elle-même, spoutniks dans les nuages pluie sur la terre !

Ces Russes étaient véritablement de sales cocos, ils nous en donnaient une nouvelle preuve. Qu’ils emmerdent les Américains, passe encore, mais qu’ils nous gâchent notre été donc nos vacances et nos week-ends, il y avait des limites à ne pas franchir. Mon grand-père n’en démordait pas, de son temps – c'est-à-dire dans sa jeunesse – en été il faisait beau et chaud, en automne plus frais, en hiver il neigeait et au printemps il pleuvait avec des éclaircies. Point barre. Tout ce qui sortait de ce schéma n’était pas naturel et ce qui n’est pas naturel est la faute de l’homme. Pas besoin d’être un scientifique, en détachant bien les syllabes pour exprimer l’ironie, pour comprendre ce qu’un gamin de cinq ans ou un homme bien mûr savait instinctivement. Ces spoutniks étaient une calamité, dans quel monde vit-on, quelle époque ma pauvre dame, ah si on m’avait dit, tiens ça me dégoutte. Et mon grand-père réactivait son sifflet, lançant ses trilles entre les murs de la petite cour, en une résonance soûlante qui atteignait notre logement sous les toits.

Grand-père nous faisait bien rire avec ses rouspétances incessantes, ses râlements à tout propos, mais « ses » spoutniks tout comme la langue d’Esope portaient en eux, le bien et le mal, des développements technologiques et des rêves induits, mais ils étaient peut-être aussi les prémices des exagérations et ambitions démesurées de l’homme face à la nature, d’où ces premiers nuages incongrus en juillet.