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16/04/2009

La bibliothèque d'Auguste

Milieu des années 60, je suis gamin, c'est l'été il fait beau et très chaud. Pourquoi ai-je toujours cette impression qu'autrefois les saisons satisfaisaient aux lois du calendrier, temps agréable au printemps, beau temps chaud en été, automne transitoire entre les chaleurs finissantes et la froidure de l'hiver ? Certainement un signe de vieillesse, d'ailleurs j'ai le souvenir des mêmes réflexions que faisait mon grand-père. Il fait chaud donc, nous sommes en vacances dans le Sud-Ouest, les Landes région de Dax, un petit village à quelques kilomètres et plus précisément un lieu-dit non loin du bourg. L'hôtel au village, nous y couchons et déjeunons avec mes parents et ma soeur, mais le reste du temps c'est ici dans la maison des parents de mon « oncle » - le mari de ma tante plus exactement - que nous passons la journée. Une vieille maison en pierre légèrement affaissée, un petit jardin à l'avant et un potager à l'arrière. Le confort est précaire, les toilettes dans une cabane au fond du jardin, la cuisine - la souillarde - est toujours plongée dans l'obscurité, d'ailleurs je n'ai que le souvenir de ténèbres et d'ombres dans cette bicoque, par contre il y règne une fraîcheur salvatrice quand on arrive du dehors. Une cruche en terre remplie d'eau glacée de la source tapie plus loin dans la forêt de pins et sapins, au cœur des fougères, me désaltère.

En ce début d'après-midi le silence serait total sous le méchant cagnard si les criquets ou cigales n'émettaient leur lancinant crin-crin. Les papis font la sieste et moi je suis dans une chaise longue, à l'ombre, en train de bouquiner. Et cette année je fais des découvertes inoubliables. D'abord je lis mes premiers polars, prêtés par mon oncle, tous les James Hadley Chase dont son incontournable « Pas d'orchidées pour Miss Blandish ». Les yeux grands ouverts je dévore ces passionnantes histoires noires, où meurtres et femmes fatales se mêlent dans des décors américains. Whisky, cigarettes et petites pépées. Tout un monde s'ouvre à moi, un univers exponentiel de lectures sans fin.

Pourtant, ce n'est pas cette découverte que je veux évoquer, mais une autre plus profonde et plus « magique ». Contiguë à la maison, une autre baraque ayant appartenu au voisin, Auguste, décédé depuis peu. Cette partie de mes souvenirs est très floue et les précisions pour la suite de l'histoire n'ayant que peu d'importance, j'ignore. La découverte dont je veux parler, c'est la bibliothèque de l'Auguste. Certainement peu de chose dans la réalité, mais pour moi un souvenir merveilleux, comme une malle aux trésors si ce n'est plus. Des rayonnages en bois de pin faits maison, ployant sous la masse des livres. Une poussière honorable recouvre les volumes à l'âge vénérable et aux couvertures passées, et au milieu de cette bibliothèque, de petits livres, une dizaine crois-je me rappeler, les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre. Le célèbre naturaliste nous livre la vie secrète des insectes à partir de ses recherches faites dans son mas du Vaucluse. La qualité littéraire digne des plus grands écrivains (Michelet serait son pendant pour l'Histoire) s'allie à la qualité scientifique de son propos. Certaines de ses découvertes ne seront confirmées que longtemps après sa mort grâce aux technologies modernes. J'ai lu ces livres jusqu'à plus soif émerveillé par cette vie grouillante, si proche et pourtant ignorée, où la vie et la mort se livrent un combat éternel. Plus tard, en région parisienne, je me livrerai à quelques expériences entomologiques, comme faire cohabiter dans un vivarium, une araignée et une mante religieuse. Ou bien épingler dans une boîte des papillons ou des scarabées aux teintes métallisées dont je recherchais les noms dans des ouvrages scientifiques achetés chez Boubée place Saint-André-des-Arts.

Dans ma bibliothèque j'ai bien entendu une édition complète des œuvres de Fabre, dans une autre édition que celle lue dans mon enfance. Quand l'époque sera venue et que mes activités professionnelles m'en laisseront le temps, j'aimerais me replonger dans la vie secrète des pompiles, du sphex ou des mégachiles, par le livre et l'exploration sur le terrain.