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27/11/2010

Comme un nain de jardin à vélo

Parfois vous devez penser que j’invente, mais tout est vrai sauf dans le cas contraire. Prenons cet autre qui circule à vélo dans ma ville, moi-même au début j’ai cru que je l’avais imaginé. Une silhouette entr’aperçue, une image vue à peine et mon esprit s’emballe, construisant des scénarios et des histoires là où il n’y a rien que d’ordinaire. J’ai une vie intérieure très riche, je ne m’ennuie jamais, je suis mon meilleur interlocuteur et spectateur de mon théâtre intime.

La première fois, car il y a toujours une première fois, un dimanche matin il revenait du marché et nous nous sommes croisés, lui sur la chaussée moi sur le trottoir. J’ai d’abord remarqué son vélo, un mini vélo blanc avec un gros panier en osier fixé sur le porte-bagages à l’arrière de sa drôle de bécane. Plein le panier, de ces choses qu’on achète sur les marchés, légumes et fruits je suppose, bref, comme tout un chacun sans doute.

Plus que sa machine, c’est le personnage qui m’a frappé. Droit comme un « i » sur sa selle, pédalant régulièrement, il passait près de nous un doux sourire bienveillant aux lèvres, à l’aise comme un qui connaît bien son monde et ses gens. Ses raides cheveux blancs affleurant ses épaules, sa barbe du même métal, il est passé, j’ai souri.

Ensuite je l’ai revu souvent, tous les dimanches autour du marché, le minuscule cycliste allait ou s’en revenait, selon que j’étais plus ou moins en avance sur mon horaire habituel, mais toujours sur son vélo. Pareil au Centre Commercial, toujours sur son vélo rigolo, il emplette et repart chargé vers le Vieux Marly, crois-je deviner, sans que jamais je ne lui vois le pied à terre. Toujours mobile, en va et vient pédalé, crinière de neige au vent, tel un elfe il survole à ras du sol son territoire.     

Assez âgé pour être retraité, je l’imagine facilement artiste, peintre ou sculpteur peut-être. Difficile de l’arrêter en pleine rue, de l’interpeller pour lui demander qui il est bien que parfois l’envie m’en prenne. Un jour pourtant nous nous sommes côtoyés de plus près. Un restaurant nouveau venait d’ouvrir près de chez moi, le journal local s’en était fait l’écho, nous l’avons essayé avec ma femme. Mon cycliste était là, attablé à une petite table près de la porte des cuisines. J’ai pu l’observer tout à loisir. La courte carte, il la lisait et relisait, la posait puis la reprenait, parlant tout seul, s’interrogeant sur la justesse de son choix. Le serveur occupé avec d’autres clients, lui jetait des yeux perplexes, quel était ce paroissien inoffensif – certes – mais avec lequel il sentait qu’il aurait du fil à retordre quand viendrait l’heure de prendre sa commande. Moi aussi j’attendais – mais avec impatience – cet instant. Attendant son tour, j’ai vite repéré que sous son air doux et calme en vélo, il faisait un piéton bien remuant. Se levant de sa table (et effectivement s’il n’était pas grand, sans pour autant être nain, il avait réellement le physique d’un nain de jardin) pour extraire un mouchoir des fins fonds de sa poche de pantalon, il se mouchait bruyamment, ou bien à peine rassis il se relevait et sortait sur le pas de porte du restaurant pour lire le menu affiché en vitrine. Quand le garçon vint prendre sa commande, il se fit expliquer plusieurs fois la formule, entrée/plat ou plat/dessert. Gentil mais pénible, car il voulait une formule incluant les trois plats, ce qui n’existait pas en tant que tel. J’abrège, durant tout le repas, il cogitait à haute voix ce qu’impliquait son choix, ressortait lire le menu dehors et quand le serveur lui présenta l’addition il s’étonna de n’avoir pas eu un dessert, au grand désarroi du loufiat qui devait penser que s’il devenait client régulier, les cheveux blancs de l’un allaient déteindre sur l’autre. Petit mais remuant.

Alors que j’écris ces lignes je réalise que sa silhouette familière s’est gravée dans ma mémoire mais qu’il y a bien longtemps, plusieurs semaines au moins que je ne l’ai vue. Où est-il passé mon grincheux souriant à vélo ?