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12/11/2007

Le bonnet

          Le vent soufflait fort, la neige tombait drue, la mort seule semblait habiter ces contrées inhospitalières où un autochtone en bonnet de laine multicolore tentait désespérément de rejoindre sa cabane qu’on devinait lointaine et perdue au bout de la toundra glacée.  Encore un de ces films suédois qui rendrait neurasthénique Bozo le Clown mais qui font les belles soirées d’ARTE me dis-je alors que d’un doigt mou et las j’éteignais la télévision en pointant ma télécommande vers l’objet de mon ressentiment.

La soirée ne s’annonçait pas folichonne, ma copine était partie chez sa mère pour quelques jours et mes potes avaient loué un voilier pour une croisière autour de la Sardaigne , petite bande sympathique à laquelle j’avais refusé de me joindre car j’ai horreur de la mer. C’est vrai, je ne sais pas nager et j’ai le mal de mer, alors partir faire le marin avec une poignée de zigotos pas avares de blagues et âneries, merci  bien ! J’avais préféré rester chez nous pendant ce mois de juillet qui promettait d’être caniculaire, sauf que je n’avais pas prévu que ma moitié dépitée de n’avoir pu participer à  cette expédition maritime où elle espérait parfaire son bronzage grâce à une exposition maximale au soleil que lui autoriserait l’intimité du pont du navire, m’avait tout bonnement planté là pour aller voir sa mère, prétextant que c’était l’occasion puisque nous n’avions rien de prévu à faire, pour renouer avec sa génitrice qu’elle négligeait trop ces derniers temps, surtout depuis qu’elle s’était mise en ménage avec moi, attendu que de plus je ne la supportais pas, bref ! Pour résumer sa pensée, tout était de ma faute si nous ne partions pas en vacances et si elle ne voyait plus sa maman. Vous imaginez la situation, inutile de vous faire un dessin.  

J’étais donc là, tout seul, ne sachant pas trop comment occuper ma soirée et n’ayant en fait goût à pas grand-chose. Je parcourus des yeux ma discothèque mais rien ne me tentait, tel disque était trop ceci, tel autre n’était pas assez cela, finalement je branchais le tuner sur FIP comme on se met en pilotage automatique. Ensuite c’est ma bibliothèque qui m’attira, mais les rayons du haut étaient trop hauts et ceux du bas, trop bas pour que je les atteigne sans contorsions, au-dessus des forces morales dont je disposais en cet instant. Pourtant, sans que je me l’explique, un gros livre à la couverture grenat attira mon attention et sans y réfléchir ma main s’empara de l’objet pesant. Je retournais au salon et me laissant tomber dans mon canapé, le livre sur mes genoux, je le feuilletais négligemment.  

Le vent soufflait fort, la neige tombait drue, la mort seule semblait habiter ces contrées inhospitalières où un autochtone en bonnet de laine multicolore tentait désespérément de rejoindre sa cabane qu’on devinait lointaine et perdue au bout de la toundra glacée.  Je m’enfonçais un peu plus au fond de mon canapé comme pour me protéger des rafales du blizzard. La neige ralentissait ma marche mais je devais absolument avancer sous peine de mourir gelé sur cette terre désertique. Un loup hurla sur ma gauche et ses compères lui répondirent par ma droite, ils tentaient de m’encercler, profitant de ma fatigue extrême qui ralentissait ma progression. Il restait deux balles dans mon fusil et je n’étais même pas certain de pouvoir m’en servir car il y avait bien longtemps que je l’utilisais comme bâton de marche, m’y cramponnant comme un pape à l’agonie se crispe sur sa crosse pendant le Chemin de Croix un vendredi saint. Etait-ce mon destin que de finir dévoré par cette bande de canidés sauvages ? A cet instant j’aurais donné beaucoup pour être devant ma télévision à  regarder un de ces films suédois qui rendrait neurasthénique Bozo le Clown mais qui font les belles soirées d’ARTE.

Si je pouvais encore penser c’est que je n’étais pas encore mort et si je n’étais pas encore mort il y avait de l’espoir. Tentant une manœuvre, j’épaulais mon fusil et tirais un coup. La déflagration me revigora et une course de pas sur la neige gelée m’indiqua que les loups beaucoup plus proches de moi que je ne le pensais, détalais apeurés. Un répit m’était donc accordé ce qui décupla mes forces. Empoignant mon bonnet de laine multicolore, j’épongeais mon front ruisselant de sueur malgré le froid ambiant.  Je hâtais le pas tant bien que mal alors que la nuit s’installait renforcée par les nuées neigeuses. Je sentais confusément que je pouvais m’en tirer et c’est à cet instant que j’aperçus une lueur faible et fugace à l’  horizon.

Une cabane de chasseur apparût à l’orée d’un petit bois de bouleaux et un court instant elle me rappela la maison en pain d’épices d’un conte lu quand j’étais un gamin aux boucles blondes ; mais actuellement c’était un quasi chauve poursuivi par des fauves qui se précipita sur la porte de la masure. La porte était bouclée et emporté par mon élan je m’y écrasais. Les loups qui dans un premier temps avaient fui effrayés par mon baroud d’honneur avaient retrouvé leur ardeur et regroupé autour de leur chef de meute ils m’observaient à quelques dizaines de mètres, sous le couvert des branches basses d’un sapin blanc de neige. Je tambourinais contre le panneau de la porte, mais ma faible constitution et le vent qui hurlait ne provoquèrent pas de réaction à l’intérieur du refuge. Néanmoins j’apercevais une faible lumière à la fenêtre unique et je m’y dirigeais espérant attirer l’attention des occupants.

La buée et les flocons accumulés sur la vitre rendaient la visibilité floue, pourtant je distinguais un canapé où un homme s’était assoupi face à un vieux poste de télévision qui diffusait sur un écran neigeux un programme où le vent soufflait fort, la neige tombait drue, la mort seule semblait habiter ces contrées inhospitalières où un autochtone en bonnet de laine multicolore tentait désespérément de rejoindre sa cabane qu’on devinait lointaine et perdue au bout de la toundra glacée.  Encore un de ces films suédois qui rendrait neurasthénique Bozo le Clown mais qui font les belles soirées d’ARTE me dis-je en m’endormant dans mon canapé fatigué.        

 

21:00 Publié dans Nouvelles | Tags : Le bonnet, ARTE, Bozo le clown | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |

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