08/09/2010
Comment j’ai débuté dans le cyclisme
Tout a commencé dans l’Orne durant les années soixante. Pour être exact, tout petit j’avais tâté du vélo dans la cour de notre immeuble parisien, un vélo à quatre roues comme pour tous les bambins auquel on retire les deux petites roues arrière qui assurent l’équilibre quand l’enfant se débrouille tout seul. Je tournais en rond dans ma cour rectangulaire tel un hamster dans la roue qui meuble sa cage. Jusque là tout allait bien.
Plus tard, pour des raisons familiales et administratives que j’omets afin de ne pas alourdir mon propos ce qui d’ailleurs n’apporteraient rien à la compréhension de l’histoire, disons seulement que je me retrouve à vivre dans l’Orne, à Alençon précisément, chez mes grands-parents et pour six mois. Le temps d’aborder les programmes scolaires de la sixième pour vous donner une idée de l’âge que j’avais. L’Orne, ses petites routes de campagne, ses paysages vallonnés, terrain propice et fertile pour un champion cycliste en devenir. Tout se présentait donc bien.
Depuis mes débuts dans la cour je n’avais pas remis les pieds à la pédale il faut bien l’avouer. Le collège où je faisais mes études étant relativement éloigné de mon domicile, mes parents m’offrirent un vélo pour m’y rendre, je n’avais qu’à choisir le modèle qui me plairait. Déjà passionné par le Tour de France, je ne connaissais que les vélos de mes idoles en maillots moulants, aussi arrivé chez le marchand de cycles mes yeux ne virent que ces modèles de courses avec le guidon typiquement recourbé en cornes de bouquetin, les cocottes de freins avec les câbles gainés se croisant joliment au-dessus de la potence, le dérailleur cette merveille technologique et les moyeux dentelés qui rendaient la roue arrière si précieuse à mes yeux. Mes yeux s’agrandissaient devant ce joujou magnifique qui devenait mien. Le vélo devant me servir pour aller à l’école, de l’étalon mince et nerveux il fallût faire un bourrin apte à me porter avec mon gros sac d’écolier (car déjà à cette époque nous trimballions nos connaissances dans des sacs plutôt que dans nos cervelles). Les roues du cycle furent caparaçonnées de garde-boue, la roue arrière s’enrichit d’un porte bagage trop étroit pour mon cartable aussi fut-il complété d’une paire de sacoches en cuir énormes, enfin cerise sur le gâteau, des cale-pieds avec des lanières de cuir comme on les faisait autrefois. Devant une telle avalanche d’options acquises en sus du vélo, le marchand dans un geste commercial de grand seigneur m’offrit de recouvrir mon guidon de la guideline de mon choix, ce scotch en toile de couleur qui assure un meilleur grip. Il prit notre chèque, je pris mon vélo, nous nous quittâmes avec des sourires plein la bouche. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes cyclistes.
Impressionné par mon engin je n’osais monter dessus. Nous rentrâmes lentement à la maison, je guidais le vélo avec un peu de difficultés car le poids des sacoches sur la maigre roue arrière équipée de demi ballons créait un déséquilibre qu’il fallait sans arrêt contenir. Sous le bourrin, l’étalon n’était pas si loin. Arrivés à notre immeuble, mes grands-parents rentrèrent dans leur appartement me laissant avec la bête pour qu’enfin je la monte, la dresse et m’engage dans la carrière cycliste qui se dessinait. Grimpé sur la selle effilée je constatais que l’accès au guidon nécessitait de se pencher sérieusement au-dessus du cadre et après avoir quitté le rebords du trottoir d’un coup de pédale vif, je remarquais à nouveau que l’engin avait tendance à s’agiter de l’arrière emporté par sa surcharge de poids ; je maintenais mon cap et tournais en rond sur le parking de l’immeuble, comme jadis dans la cour chez mes parents. Garder l’équilibre, me sentir à l’aise sur la bécane alors que j’avais le dos trop plié à mon goût et les pieds prisonniers de mes cale-pieds, sachant aussi qu’à cette lointaine époque j’accusais vingt bons kilos de surcharge pondérale n’était pas une mince affaire. Après une demi-heure de grand air sur le parking, je pensais qu’il était temps de mettre un terme à tant de bonheur pour cette première journée et de ranger mon merveilleux vélo dans son garage. Il ne me restait plus qu’à m’arrêter et en descendre. Arrivé là rien n’allait trop mal encore.
C’est alors, mais seulement à cet instant que j’ai réalisé que je ne pourrai jamais atteindre les freins, tout là-bas au bout du bout du guidon. Pour me laisser le temps de réfléchir à cette situation complexe autant que grotesque, j’entamais un nouveau tour du parking, une sorte de tour d’honneur, les vivas en moins et l’anxiété en plus. Comment stopper cette foutue machine – la belle mécanique, le fier étalon, nous n’en étions plus là – et rentrer chez moi ? Quand on n’est pas malin, on n’est pas malin ! La seule idée qui me vînt, ralentir la course de mon biclou au maximum et me diriger droit sur le trottoir qui devrait stopper l’engin. Sauf que je suis arrivé bien trop vite, que le choc fût plus brutal que souhaité, que je suis passé par-dessus les cocottes de freins (mais que maintenant leur accès devenu possible ne m’était plus d’aucun secours) et que je me suis écrasé sur le sol. Résultat une clavicule cassée et quelques hématomes avec une peur bleue rétroactive, il s’en était fallut de quelques centimètres que ma tête ne heurta les marches du perron de l’immeuble. Je crois que c’est ce jour-là que j’ai envisagé de ne jamais pouvoir gagner le Tour de France. La suite m’a prouvé que je n’avais pas eu tort, car si plus tard j’ai réussi à maîtriser l’engin, je me suis encore cassé la gueule plusieurs fois et j’en garde encore, plus de quarante ans après, sur le tibia droit, une énorme cicatrice luisante.
07:00 Publié dans Echos de ma vie | Tags : cyclisme, vélo | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |
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