02/10/2010
La laitière
« Raconte nous quelque chose grand-père ! » Le feu ronflait dans la cheminée, à travers les vitres des fenêtres on apercevait les branches dénudées des arbres centenaires ployer sous les bourrasques du vent mauvais, les gamins contraints de rester à la maison avaient épuisé toutes les joies des parties de cartes ou de dominos. Nous n’allions pas tarder à allumer une lampe car cette sensation de veiller un mort devenait pesante.
« Raconte nous quelque chose grand-père ! » répétèrent les petits. J’avais ignoré leurs demandes prétextant comme alibi la lecture de mon journal, mais je pressentais qu’il ne me restait que peu de temps avant que le calme relatif de la maison ne soit troublé par leurs cris et agitation, les gosses ne savent pas rester en place bien longtemps quand ils n’ont rien à faire.
Je pliais mon quotidien et le posais sur la table basse, les enfants se rapprochèrent de mon fauteuil, s’assirent en rond autour de moi sur le tapis, ils devinaient que j’allais céder à leur demande et s’en délectaient. Même le gros chat rouquin, roulé en boule sur le dessus du canapé semblait apprécier la situation. Devant un tel public conquis par avance, je ne pouvais que m’exécuter ; je toussais deux ou trois fois pour m’éclaircir la voix et calmer l’assistance frémissante d’impatience juvénile.
« Mes enfants, aujourd’hui je ne vais pas vous narrer une histoire, mais je vais vous raconter l’Histoire. Tss ! Tss ! On ne rouspète pas, écoutez plutôt et souvenez-vous en. Mais avant de commencer je vais aller chercher ce gros livre illustré qui traîne sur ma table de travail. Les gravures vous permettront de suivre mon propos.
La plupart des tableaux de Vermeer (1632-1675) représentant des activités féminines illustrent la critique du vice qui était le fondement de la peinture hollandaise de cette époque en montrant les mauvais agissements, le cas contraire consistant à montrer le bon exemple est assez rare chez Vermeer mais je pourrais citer par exemple, La dentellière ou La laitière.
La laitière est l’un de ses tableaux les plus célèbres et très tôt il fût estimé à sa juste valeur, puisque après sa mort lors de la vente de sa succession en 1696 il était déjà étiqueté « chef d’œuvre ». La laitière est représentée comme une servante pieuse dans un décor simple, voire austère avec son mur nu. Pour le spectateur de l’époque il faut savoir qu’un tableau racontait une histoire, tous les objets ou personnages ont une signification bien particulière, rien n’est là par hasard et très souvent renvoient à une allusion religieuse. Le lait qui s’écoule lentement par exemple, dans la Bible il est dit « le lait pur de la parole » ; le pain et les petits pains renvoient au Christ et à l’eucharistie comme vous l’avez appris au catéchisme. Tout dans l’attitude de la servante exprime la tempérance et la minutie, elle s’applique de son mieux à remplir sa modeste tâche. Toute son attention est consacrée à son travail. »
Les gosses commençaient à s’agiter et se disputaient le gros livre d’art, le feuilletant d’avant en arrière, n’écoutant mon histoire que d’une oreille peu attentive et je crus même comprendre que certains s’intéressaient surtout aux peintures de nus ! Les salopiauds ! Il était temps de changer d’activité avant qu’ils ne tombent sur L’origine du monde de Courbet.
« Les enfants, mon histoire est terminée (Ce ne fut qu’un cri : Ouais !), comme la laitière n’oubliez jamais que lorsque vous vous lancez dans une tâche il faut toujours la réaliser de son mieux (Cri muet : pff !) Et maintenant je vois qu’il est bientôt l’heure du goûter, nous allons faire du pain perdu, d’ailleurs j’entends votre grand-mère qui fourgonne déjà dans sa cuisine ».
La laitière Vermeer (vers 1658-1660) – huile sur toile 45,4 x 41 cm – Amsterdam, Rijksmuseum
07:00 Publié dans Musées, expos, spectacles, Nouvelles | Tags : la laitière, vermeer, peinture, art | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |
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