La monnaie de ma pièce

Quand vous sortez de la gare, vous ne la voyez pas d’emblée, de l’autre côté de la place entre le fleuriste et le cinéma, une courte arcade abrite quelques commerces dont une boulangerie retranchée au fin fond de cet espace comme si elle cherchait à se dissimuler à la vue de tous. Si vous n’êtes pas du coin, vous ne devinerez jamais qu’elle est là.  

Et même ceux qui la connaissent ne doivent y aller que par contrainte, les boulangeries sont peu nombreuses chez moi, chacune dessert un vaste territoire et le quidam qui rentre du boulot par le train le soir, s’il habite dans ce quartier ira automatiquement chez ce boulanger acheter sa baguette. Comme ce n’est pas mon secteur, je n’y vais que très rarement, en fait il y a deux cas très exactement, soit après une séance de cinéma pour m’offrir mon petit goûter, soit quand je reviens d’une longue promenade pédestre dans le Parc et la forêt, l’estomac dans les talons et mon chez-moi encore trop loin avant que je ne tombe d’inanition.

La boutique ne paye pas de mine, parfois il faut aller jusqu’à la porte pour être certain que la boulangerie soit ouverte car la lumière n’est pas allumée pour une raison que j’ignore, il n’y a pas de vitrine non plus avec des gâteaux qui font saliver, il faut entrer pour examiner l’offre. Sans être mauvais, rien n’est réellement exceptionnel non plus, pour en baver devant de belles pâtisseries débordantes de crème ou luisantes de sucre il faut aller chez mon boulanger, le meilleur de la ville sans contestation possible, mais ce n’est pas mon propos aujourd’hui puisque j’ai jeté mon dévolu sur la boulangerie de la gare. 

La séance de cinéma vient de se terminer, il est un peu plus de 16h, une babiole à grignoter ne serait pas de refus. J’écarte tout ce qui est trop élaboré car ici il est préférable de faire dans le simple, une briochette au sucre sera parfaite. Et c’est au moment de payer que toute l’originalité de cette boulangerie va se révéler. En ces lieux, la monnaie est traitée par une machine exclusivement ! Je m’explique, si vous payez avec un billet, la caissière prend votre billet et c’est la machine couplée à la caisse qui vous rend la monnaie, si vous payez en pièces, vous les glissez dans l’appareil et il vous rend la différence, dans ce cas la caissière ne manie aucunes espèces.

A chaque – mais rares – fois où je vais chez ce commerçant, je suis dérouté autant qu’amusé par cet appareillage que je n’ai jamais vu ailleurs me semble-t-il, encore qu’il me semble vaguement avoir un souvenir d’enfance lié à un tel bricolage ? Appareil moderne ou vieillerie antédiluvienne, je ne sais quoi penser, est-ce pour éviter le vol ou pour anéantir toute contestation dans le rendu de la monnaie ? La riposte paraît disproportionnée par rapport à l’attaque et toute visite dans cette boulangerie me plonge à chaque fois dans la plus grande perplexité.