La danse du tapis

Imaginez mon désarroi hier matin en sortant de mon appartement, mon paillasson avait disparu !

Evacuons immédiatement l’idée saugrenue d’un paillasson pris d’une envie irrésistible de voyage et de grands espaces, se muant en tapis volant pour partir vivre des aventures exaltantes qui le changeraient avec bonheur du train-train quotidien dans lequel ses seuls contacts personnels consistaient à embrasser la semelle de mes godasses. Vu ainsi et à postériori, il est certain que j’ai quelques remords, jamais un mot aimable pour lui, même quand de mes souliers bien crottés je lui frictionnais le museau, mais après tout, c’était aussi son boulot, que dis-je, son destin !

Soyons plus sérieux. J’ai fait mon enquête, je suis le seul à ne plus avoir de paillasson devant sa porte et la femme de ménage, heu, la technicienne de surface, étant dans l’escalier occupée à son ouvrage je l’ai questionnée, peut-être était-elle à l’origine de ce mystère ? Que nenni, me répondit-elle dans son verbiage tout personnel. Hier soir vers 17h il était là quand je suis rentré chez moi, ce matin 9h30 il a disparu quand je suis sorti faire mes courses. L’escalier n’est accessible qu’avec un badge magnétique possédé par les habitants ou par un interphone pour les visiteurs. Tout cela, ce sont des faits avérés.

Ne restent que les hypothèses, dont la plus probable, on m’a volé mon paillasson. Qui plus est, un voisin de l’immeuble est le voleur. Mais pourquoi, quel est le mobile ? Nous possédons tous le même modèle, simple et discret, fourni par le gestionnaire de la copropriété. Je crains d’y voir un geste malveillant me visant personnellement. Le pourquoi reste sans réponse. J’ai beau lâcher la bride à mon imagination, aucune explication, même farfelue, ne me vient à l’esprit.

Et c’est cela qui me turlupine réellement, car le tapis en lui-même ne m’intéresse pas, la copropriété va m’en fournir un autre immédiatement. Quels sont les motifs qui peuvent pousser à un tel vol ? Je ne vois que la connerie, car ces tapis sont achetés avec les charges de l’immeuble, donc le voleur en paye sa part comme les autres.

Alors qui peut-être aussi con pour piquer le paillasson de son voisin ? Est-ce une pratique courante ailleurs ? Chaque jour m’apporte son lot de déceptions, chaque joue me conforte – hélas – dans mon dégoût de l’humanité. Les cons sont partout, je le savais déjà, mais désormais ils sont aux portes de chez moi, c’est bien plus grave.