25/03/2014
Les patins dans l’entrée
Devenu veuf, Léonard fut la proie de sentiments contradictoires. Un chagrin immense bien sûr, devant ce vide à ses côtés, cette solitude atroce qui le submergeait, l’entraînait vers un gouffre sans fond. Et puis aussi, quelque temps plus tard, passées les journées où les yeux restent noyés perpétuellement, la sensation d’une délivrance, comme une liberté nouvelle lui laissant un vague sentiment de honte qu’il tentait d’étouffer.
Désormais seul a mener sa barque, il devrait s’occuper de tout, de la cambuse à la gestion de la voilure mais il serait le capitaine de sa propre vie. Pour la première fois. Ce serait dur et inquiétant mais aussi exaltant. Au fond du long tunnel noir, une lueur timide apparaissait, signe d’espoir.
Quand il y repensait maintenant, après toutes ces années, comment avait-il pu accepter ses diktats, les interdictions qu’elle lui imposait et ce petit bonheur qu’il avait tant quémandé encore et encore, avoir un animal domestique, un petit chien ou un chat, ou bien des oiseaux dans une cage. A chaque fois, il avait essuyé ses refus catégoriques étayés de prétextes ridicules.
Mais c’en était fini aujourd’hui. Enfin, il avait réalisé son rêve, il s’était offert des oiseaux, de blanches colombes. Ses enfants avaient émis des réserves, tout le portrait de leur mère ceux-là. Si ça ne leur plaisait pas, ils pouvaient rester chez eux. Ah, ces colombes ! Non seulement elles roucoulaient à longueur de journée mais elles chiaient partout, un vrai bonheur.
Après ces longues années de patins dans l’entrée, de cire sur les meubles et d’ordre maniaque confinant à l’obsession, le vieil homme prenait sa revanche. Il pourrait partir en paix, sur une image valorisante de lui-même.
Photo : Cartier-Bresson
05:00 Publié dans Nouvelles | Tags : colombes, cartier-bresson | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | |
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