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26/05/2009

La fête des voisins

Moi j'étais prêt depuis bien longtemps puisque j'avais lu dans l'agenda d'un magazine dont j'ai oublié le nom qu'elle se tenait ce mardi. J'avais nettoyé ma plume et sorti la fiole de fiel du placard aux méchancetés, je me sentais en pleine forme pour décocher quelques traits acerbes sur mon voisinage immédiat.

 J'imaginais déjà les deux tréteaux et la porte posée dessus, une nappe en plastique cachant le pauvre montage planté devant le perron de l'immeuble sous le grand tilleul. Un ravier d'olives vertes et la bouteille de Corbières attendant que les uns et les autres s'approchent de la cène. Ils seraient arrivés timidement, ceux du rez-de-chaussée ayant laissé leur porte d'entrée ouverte pour écouter les allées et venues afin de ne faire leur entrée que lorsque quelques voisins seraient déjà là, tandis que la petite vieille du premier tapie derrière son rideau de cuisine attendait le moment opportun pour descendre. Plus haut dans l'escalier on entendait des gamins piaffant d'impatience, entrant et sortant des appartements demandant l'autorisation à leurs parents pour se joindre à la fête à venir, lesquels hurlaient qu'ils n'étaient pas prêts. Pendant ce temps là, un saladier de taboulé et un paquet de chips avaient atterri sur la nappe et un couple y déposait un grand gâteau aux carottes. Le célibataire obèse du second avait installé son pliant près de la table et d'une main experte ouvrait une des boites de bières qui patientaient à ses pieds. De mon balcon j'entendais parfaitement les conversations qui montaient vers moi, comme des prières m'incitant à descendre pour me joindre à la liesse et assis dans mon fauteuil j'apercevais même à travers le grillage, les silhouettes floues des invités. La représentation pouvait débuter.

 D'où j'étais placé j'avais une vue imprenable sur la calvitie de l'un et le décolleté de l'autre. Les personnes âgées s'étaient fait prêter des chaises par les locataires des rez-de-chaussée et calées contre le buffet s'activaient sans vergogne, n'en perdant pas une miette, c'était le cas de le dire. La bouteille de Corbières avait rendue l'âme depuis belle lurette mais un bataillon de Côtes du Rhône et quelques rosés de Provence mis à fraîchir dans un seau avaient relancé la bataille et délié bien des langues. On parlait de vacances, on évoquait de petits restaurants inconnus de tous mais où l'on mangeait pour presque rien à des prix défiant toute concurrence « Je ne vous dis que ça ! » alors qu'on aurait aimé avoir des détails justement. Les gamins cavalaient sur les pelouses et revenaient en piaillant qu'ils avaient soif. Des mères de famille faisaient le service « C'est moi qui l'ai fait ! » comme une garantie d'excellence. Le couple de Tunisiens qu'on entendait jamais « Des gens très comme il faut, finalement » s'étaient joints discrètement à la partie de campagne et ils distribuaient des gâteaux dégoulinant de miel « Une recette de notre village ». Les plats vides et les verres en plastique qui jonchaient la table scandaient les heures qui passaient tout comme les cris des enfants en net decrescendo annonçaient que la soirée se terminait lentement. « On a eu de la chance, il a fait beau » la phrase répétée à l'infini remplaçait le traditionnel « Bonne fin de soirée ». Le gros et les vieux se sont hissés lentement jusqu'à leurs étages, les parents ont rassemblé leur troupeaux de culottes courtes, certains ont vidé un dernier verre « Un dernier pour la route, je ne conduis pas ! Ah ! Ah ! Ah ! ». La dame du rez-de-chaussée a insisté pour nettoyer les traces de la fiesta « Je suis la plus proche des poubelles » et tout le monde est rentré chez lui.    

Voilà le scénario que j'avais imaginé et auquel je m'étais préparé, pensant le cribler de vacheries bien senties, de descriptions goguenardes et de situations grotesques, truffé de bribes de conversations dérobées. Hélas ! J'ai eu beau tendre l'oreille, scruter les alentours et même en désespoir de cause prendre pour prétexte de descendre mes poubelles au local souterrain, je n'ai trouvé nulle trace de fête dans mon immeuble. Les salauds, ils n'ont pas fait la fête comme leur en enjoignait pourtant le collectif Immeubles en Fête ! Je m'en fiche, j'ai mangé mon taboulé tout seul.