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23/09/2007

Lettre persane

                      Mon cher Ibben, quoique les Français parlent beaucoup, il y en a qui savent parler sans rien dire, et qui amusent une conversation, pendant deux heures de temps sans qu’il soit possible de retenir un mot de ce qu’ils ont dit.

 Allô ! Où tu es ? Allô ! Je suis dans le métro. Allô ! Tu n’oublies pas de prendre du pain. Allô ! J’arrive, je suis là dans cinq minutes. Allô ! Tu m’entends ? Allô ! Tu me rappelles ? Allô ! Tu as cherché à me joindre ? Allô ! Tu me vois ? Je suis devant la boutique de fringues. Allô ! Il est quelle heure ? Allô ! Tu dormais ? La sonnerie ressemble vaguement à une mélodie connue mais le son est tellement pourri qu’on ne le jurerait pas, une autre est tellement forte qu’elle doit certainement servir à autre chose que prévenir son propriétaire qu’on cherche à le contacter ? Celui-ci hurle dans son téléphone, étonné que son correspondant puisse l’entendre par le biais de cet appareil si minuscule, celle-là raconte ses malheurs gynécologiques à une copine – « mais tu n’en parles à personne »- assez fort pour que tout le wagon en profite. Celui-ci, réveillé par la sonnerie de son propre appareil, s’évertue à tourner le cou à droite et à gauche, s’impatientant que personne ne décroche jusqu’à ce que ses méninges atrophiées ne réalisent, tandis que dans la rame plusieurs autres voyageurs se fouillent les poches ou le sac craignant que ce ne soit leur propre biniou qui ne soit la cause de ce tapage diurne. D’autres se sont mis sur répondeur en permanence pour ne pas être joints mais ne trouvent pas illogique de se trimballer avec leur portable alors qu’il en est qui n’en ayant jamais assez d’être contactés, ont une oreillette banchée en continuité avec un mini-micro qui leur permet de parler en circulant mains libres, tout comme ces illuminés qu’on croise souvent jacassant tout seul dans les rues. 

                    Je te promets que ces petits appareils, dont on ne fait aucun cas chez nous, servent bien ici ceux qui sont assez heureux pour les avoir, et qu’un homme de bon sens ne brille guère devant eux.

                                                                                                       De Paris, le 6 de la lune de Rebiab2