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01/11/2011

Fenêtres la nuit

Elle est encore là ce soir.

La semaine dernière, quand tout a commencé, j’avais mis l’incident sur le compte d’un hasard heureux, un rêve d’adolescent enfin réalisé, car à mon âge on n’a plus beaucoup de rêves je dois le reconnaître. Mes insomnies m’avaient repris, le médecin disait que c’était normal, qu’à mon âge le sommeil ne serait plus un long fleuve tranquille, qu’il fallait l’accepter et vivre avec. Des nuits de sommeil entrecoupé de temps d’éveil plus ou moins longs mais que compenseraient des moments de sieste en cours de journée, l’un dans l’autre, je dormirai autant qu’au temps de ma jeunesse, voire plus certainement, si on tenait un bilan comptable des temps d’assoupissement et des instants d’activité. Ouais. M’enfin, moi je ne voyais pas cela du même œil, quand je mets mon pyjama c’est pour me coucher et dormir, point àla ligne. L’habit ne fait pas le moine, mais le pyjama fait le dormeur, je ne sortais pas de ce raisonnement.

Je n’étais pas d’accord avec mon médecin, mais je dois bien avouer que ça ne m’avançait pas à grand-chose, vu que mon corps abondait dans le sens dela médecine. Contrarié, mais pas réellement convaincu, j’en étais à tenter de m’accommoder de ce nouveau rythme de vie. Quand je m’éveillais, je n’insistais pas, inutile de chercher à se rendormir de force, bloquer les muscles des yeux pour les tenir clos, compter les moutons et autres balivernes sans effet. Désormais, je me levais et m’installais dans mon fauteuil de salon, face à la fenêtre, lumières éteintes pour favoriser un retour de Morphée au bercail.

Le spectacle n’était pas folichon, je m’en étais toujours douté et c’est bien pourquoi – jusqu’à ces derniers temps - je n’avais pas l’habitude de me relever la nuit pour jeter un œil parla fenêtre. Rues vides, immeubles plongés dans l’obscurité, même l’éclairage public semblait en veilleuse, économies obligent. Parfois un chat ou un chien errant attirait mon regard, mais l’animal disparaissait trop vite pour que l’observation en vaille la peine. Jusqu’à ce fameux soir.

La semaine dernière donc, j’étais assis là, comme chaque milieu de nuit désormais, somnolant à moitié, quand l’appartement face à ma fenêtre, dans l’immeuble d’en face, surgit brusquement du noir ambiant, éclairé d’un coup d’un seul. J’en sursautais d’étonnement dans mon fauteuil, écarquillant les yeux et bien réveillé. Ce jour-là, il serait malhonnête de me traiter de voyeur, je n’étais qu’un témoin fortuit d’un incident inhabituel. Je n’ai d’excuse que pour cette nuit divine. Ce que j’ai vu, je l’ai vu à l’insu de mon plein gré. Comme au cinéma, quand la salle est plongée dans le noir et que l’écran s’illumine des premières images du film, on est capté et on attend la suite.

La suite est simple à deviner, elle est entrée chez elle, il devait être vers les quatre heures du matin, ou un peu moins peut-être, le quartier plongé dans le noir comme je le constatais moi-même chaque nuit, elle ne s’est pas méfiée. Elle a retiré son manteau, accroché à la penderie de l’entrée puis elle s’est dirigée vers la chambre tout en se défaisant de sa robe en marchant. Il était tard, elle devait être pressée de se coucher. La robe pliée sur un dos de chaise, elle circulait dans les pièces en slip et soutien-gorge, inutile de vous dire que je n’en perdais pas une miette car chaque miette était un régal pour les yeux.

J’ai deviné qu’elle allait dans la salle-de-bains, elle en est ressortie nue comme Eve au Paradis avant d’éteindre toutes les lampes de l’appartement. Dans la pénombre j’apercevais sa silhouette encore, quand elle a enfilé sa chemise de nuit, une sorte d’étincelle a trahi le synthétique du vêtement et je ne l’ai repérée que parce que je scrutais la nuit de toutes mes forces oculaires.

Et depuis, chaque jour, c'est-à-dire chaque nuit, je mets mon réveil à sonner vers trois heures trente afin de ne pas rater le retour de la belle. Artiste de cabaret certainement, à chaque fois elle me régale de son numéro. Aujourd’hui je pense avoir fait le tour de l’ensemble de sa lingerie intime, ses culottes et soutien-gorge n’ont plus de secrets pour moi, son anatomie m’est familière, chaque courbe m’est connue, chaque vallon m’a été révélé, son corps est un pays où je pourrais m’aventurer les yeux fermés. Mais fermer les yeux devant de tels paysages, ce serait pécher, non ?     

 

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Hopper Fenêtres la nuit (Night Windows), 1928 – Huile sur toile 73,7 x 86,4cm – MOMA New York