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02/09/2010

Gens au soleil

Le speaker dans le poste de TSF l’avait annoncé dès hier et les journaux du matin s’en faisaient l’écho, dans le courant de l’après-midi le soleil disparaîtra quelques minutes, le temps d’une éclipse. A la radio l’homme avait passé la parole à un scientifique, spécialement invité pour expliquer aux auditeurs attentifs ce qu’était exactement une éclipse. « … occultation du soleil due à l’interposition de la lune devant lui dans le ciel » avait-il répété plusieurs fois en reformulant ses phrases à chaque fois différemment. Même s’ils ne le voyaient pas, les auditeurs l’imaginaient très bien vêtu de sa blouse blanche – preuve de sa fonction – quelques feuilles de notes posées devant lui, les lunettes sur le bout du nez et sa pipe dépassant de sa poche poitrine. 

De ces longues digressions complexes et bavardes, tout ce qu’en avait retenu les gens à l’écoute, c’est qu’à 15h32 le soleil disparaîtrait derrière la lune pendant de longues minutes, qu’il ferait donc noir d’un seul coup et qu’il fallait prévoir des lunettes à verres fumés pour observer ce phénomène.

Afin de ne rien rater de cet évènement pas si banal et qui romprait la monotonie de leurs journées habituelles, les pensionnaires du sanatorium s’étaient installés sur la terrasse dès le déjeuner terminé. Ils s’étaient habillés comme pour une sortie au spectacle car comme aimait à le répéter madame Pumpkins-Jones, la femme du gouverneur de l’état, « Quand on est interdit de sorties au théâtre, si le spectacle vient à vous, il est bien naturel de lui faire honneur et de se vêtir en conséquence ! ». Impressionnés par cette remarque sans appel, les autres malades s’étaient alignés sur ce point de vue et abandonnant leurs peignoirs, pyjamas et blouses, ils avaient ressorti du placard de leurs chambres, les vêtements civils qu’ils y avaient déposés à leur entrée dans le monde hospitalier.

A présent ils étaient sagement installés dans les fauteuils gracieusement prêtés par le personnel du sanatorium, sur la terrasse, face aux montagnes au-dessus desquelles quand l’heure fatidique sonnerait, le spectacle commencerait. 

 

100902 Gens au soleil.jpgGens au soleil de Hopper (1960) – Huile sur toile 102,6 x 153,4 cm – Washington DC National Museum of American Art