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16/09/2010

La voie de la souplesse

Teddy Riner notre judoka n’aura pas réalisé l’exploit inégalé d’engranger un cinquième titre mondial. C’est dur car sa défaite en finale ne semble pas résulter d’une décision exclusivement sportive mais d’une « politesse » vis-à-vis du pays hôte, un Japon bien à la peine depuis plusieurs années pour obtenir des titres dans ce sport dont il est le créateur. Ce n’est que partie remise car Teddy, 21 ans seulement, est trop fort pour que son palmarès ne s’étoffe pas dans les prochaines années, j’en suis certain.

Si je vous parle de judo, c’est que ma carrière sportive est aussi passée par cette discipline. Là encore je dois rassembler des souvenirs lointains du temps de ma tendre enfance comme le veux l’expression. Disons que j’avais l’âge de ceux qui sont en classe de 6ème ou 5ème et que nous étions à Herblay, commune du Val d’Oise en bord de Seine, où nous avions emménagé avec ma famille au début des sixties. Arrivant en droite ligne de Paris, la petite ville bordée de champs à cette époque, avait tout du village de province où les parisiens venaient en masse les week-ends de printemps cueillir les lilas avant de retourner par le train dans la capitale, les bras chargés de couleurs et d’odeurs qui égaieraient leurs salons tristounets durant de nombreux jours.

Poussé vers le sport par mes parents, mon père avait beaucoup pratiqué et ma mère y voyait une source d’épanouissement pour son fils, ainsi que par la Faculté car mon embonpoint certain nécessitait que je fasse des efforts physiques, je me risquais à mon corps défendant vers un club accueillant. Le football semblait la voie naturelle mais timide, introverti et déjà mal à l’aise avec la promiscuité j’écartais cette hypothèse et me tournais vers un tout petit club de bénévoles pratiquant le judo.

L’entraînement se déroulait dans une salle paroissiale attenante à l’église, avantageuse pour moi car non loin de notre maison. Une fois ( ?) par semaine nous nous réunissions, quelques gamins de mon âge encadrés par des jeunes de dix-huit ou vingt ans pour apprendre les bases de cette discipline. Par une relation de mon père j’avais obtenu un kimono de qualité dans lequel je me sentais néanmoins un peu ridicule, une sorte de pantalon de pyjama m’arrivant à mi-mollet, aux genoux renforcés et retenu aux hanches par des cordelettes avec une veste assez lourde, aux épaules et revers très costauds puisque c’est par là que nous assurerions notre prise sur l’adversaire. Le costume blanc agrémenté de broderies de la même couleur sur la veste, discrètes et viriles, était complété par une longue ceinture – blanche pour les débutants comme moi – m’entourant la taille plusieurs fois. La couleur de la ceinture indique le niveau technique du judoka, le but étant d’atteindre le noir, niveau supérieur qui peut encore être surpassé par les dans, pour les maîtres. Je n’en étais pas encore là dans mon petit ensemble immaculé.

J’ai parlé d’un petit club de bénévoles et véritablement c’était le cas. Je m’étais inscrit à l’automne ou au début de l’hiver peut-être et j’ai le souvenir encore bien précis de ces cours qui débutaient en toute fin d’après-midi ou début de soirée, quand la nuit froide tombe sur les hommes. Alors que mon esprit se serait réjoui de rester bien au chaud à la maison, mon corps s’obligeait à sortir et rejoindre notre équipe de volontaires. GI’s Joe était en construction. La salle paroissiale n’ouvrait ses portes qu’à l’arrivée d’un « grand » qui avait la clé. Pas de vestiaires ni de douches, bien entendu, mais des bancs pour poser notre sac tandis qu’au centre le tatami nous attendait calmement. La première chose à faire en entrant dans le « dojo » c’était d’allumer le chauffage, car évidemment il n’était pas branché quand la salle ne servait pas ; la chaudière n’était pas d’un modèle récent et performant aussi nous ne pouvions pas attendre que la salle fût chaude pour débuter le cours. Je vous rappelle que le judo se pratique en pyjama (avec un slip quand on est prudent) pour tout vêtement, alors quand il fait froid dans le dojo il faut réellement aimer cela. Le pire ce sont les doigts de pieds. Quand vous avez les ripatons gelés et que ce sont eux qui vont vous servir à placer des balayages des jambes de votre adversaire ou au contraire à vous assurer de solides appuis pour contrer ses attaques, vous comprendrez qu’il faut les chérir et les choyer. J’étais mort de froid sur ce tapis géant et la séance d’échauffement ne parvenait pas à chasser la chair de poule recouvrant mon corps grassouillet. Certains penseront que l’arrondi des ronds peut être un avantage dans ce genre de sport où l’on roule à terre plus souvent qu’on ne le souhaite. Erreur. Engoncé dans mon kimono à la veste trop rigide, les pieds gelés dont je craignais à chaque instant de m’en casser un orteil, les chutes pas toujours bien amorties par le bras comme on me l’enseignait, tiraillé de droite et de gauche par les revers de ma veste par les bras de mon adversaire, parant tant bien que mal son pied droit qui cherchait à me faucher ou esquivant son mouvement de hanche visant à me mettre au sol, je n’avais comme défense que mon poids à opposer. Si le combat se poursuivait au sol, par de laborieux soubresauts je pouvais m’affaler sur le corps de mon partenaire et l’immobiliser par le seul poids de mon inertie, ce qui indisposait un peu notre professeur, car trop lourd pour les gamins de mon âge, j’étais trop peu qualifié pour opposer une technique suffisante à ceux de mon poids car beaucoup plus âgés !

O soto gari, O goshi, De ashi barai, toutes ces prises font très exotiques citées dans ce texte, aujourd’hui elles sonnent même très agréablement à mon oreille mais il y a cinquante ans elles étaient synonymes de chutes avec fracas sur un tapis de sol frigorifié. Bien entendu ce qui devait arriver arriva, une chute mal contrôlée et ma clavicule céda. A ce propos, une courte parenthèse car une lectrice de ce blog très au courant de mon dossier médical m’a fait remarquer que ma clavicule cassée je la devais à mon expérience dans le judo, alors que ma tentative de carrière dans le cyclisme évoquée récemment s’était en fait soldée par une fracture du bras mal ressoudée par la suite. Avec le recul il s’avère que cet accident me fut bénéfique puisque lorsque je fis mes « 3 jours » de service militaire en 1973, ils me valurent une exemption signifiée sur mon carnet « Inapte au service militaire ».

Cette clavicule brisée m’éloigna du tatami durant quelques semaines. Loin des yeux loin du cœur, quand je retrouvais mon intégrité physique, l’envie pas très forte au départ s’était enfuie à tire d’ailes et le kimono rangé dans la penderie y finit ses jours. Le judo (ju-do, littéralement « la voie de la souplesse ») m’avait au moins enseigné une chose, quand on n’est pas fait pour quelque chose inutile d’insister, il est préférable de s’adapter aux circonstances.

 

 

07:00 Publié dans Echos de ma vie | Tags : teddy riner, judo, sport | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |